Démocratie et géopolitique en Corse
 
 


LEFEVRE Marianne




Depuis une quinzaine d'années, la violence, devenue un moyen d'expression courant, s'est banalisée et radicalisée dans l'île : lettres de menaces de mort, déclarations de haine et d'exclusion telles "I Francesi Fora" ou "Arabi Fora", extorsion de l'impôt révolutionaire ou racket et attentats sur les biens et les personnes en milieu urbain et littoral, là où les activités libérales, commerciales ou immobilières et touristiques sont source de profits; 4141 attentats à l'explosif du 1er janvier 1980 au 31 décembre 1989, soit plus d'un par jour en moyenne durant dix ans pour une population de moins de 250 000 habitants; il apparaît dans la presse une terminologie originale et spectaculaire pour ce nouveau phénomène : la "nuit bleue".

Or, dans le même temps, les mesures de décentralisation ont ouvert des espaces nouveaux de débat et de décision aussi bien dans les domaines scolaire, culturel qu'économique. Simultanément s'est créé un espace médiatique régional avec l'établissement d'une station de télévision et de radios locales; les parutions quotidiennes et hebdomadaires de la presse écrite se sont multipliées. C'est dans ce contexte que toutes les énergies se mobilisent en mars 1992, et la population insulaire élit, avec un taux de participation record en France, les 51 responsables de l' Assemblée territoriale qui mettent en place un conseil exécutif de sept membres, véritable mini-gouvernement de l'île chargé de conduire son développement, car la Corse, avec le "statut Joxe", est la seule région à être pourvue d'un conseil exécutif. La nouvelle collectivité territoriale de Corse est sortie du droit commun des régions métropolitaines françaises.

Comment la mise en place d'une politique de démocratisation de la vie publique visant au maintien de la paix civile et à la responsabilisation des hommes politiques et des électeurs a t-elle pu s'accompagner d'une situation de renforcement du "problème corse" et de "dérive" d'une région toute entière où violence, terrorisme et crimes de droit communs se sont banalisés?
 
 
 
 

1. Evolution de la représentation du pouvoir central et de l'intervention de l'Etat
 
 

Le gouvernement socialiste joue contre le clan traditionnel : rupture de la dynamique séculaire Etat-clan à partir de 1981
 
 

L'arrivée au pouvoir de la gauche en 1981 modifie totalement la perception de la Corse par le pouvoir central. Seule une solution politique globale lui apparait susceptible de régler le "problème corse" : il met en place des réformes institutionnelles de décentralisation pour responsabiliser les élus locaux, moraliser la vie publique et redistribuer les pouvoirs afin de rétablir la démocratie et la paix civile dans l'île. Mettant fin à la dynamique séculaire Etat-clan, il s'appuie sur des forces nouvelles. Alors que l'aide financière de l'Etat par habitant est la plus élevée de France, on assiste au retrait de l'Etat-nation et à la disparition concommitente de l'Etat de droit.

Depuis deux siècles environ, il existe une collusion entre chefs de clan et pouvoir central qui s'est renforcée durant le régime républicain. Le vote insulaire a toujours été légitimiste (en 1978, quatre députés RPR; en 1981, trois radicaux de gauche et un RPR). Or, depuis 1981, le gouvernement n'utilise plus les deux clans traditionnels comme force de médiation. Pour la première fois dans l'histoire de la Corse française et républicaine, l'Etat joue contre le clan traditionnel et s'appuie sur d'autres formations politiques "modernes".
 
 

Le vote, principal outil et manifestation du pouvoir claniste, est remis en cause à plusieurs reprises par le gouvernement socialiste

Toutes les mesures de réforme électorale depuis 1981, de "moralisation de la vie publique", visent à remettre en question la mainmise des clans sur l'électorat : en 1981-1982, "l'opération vérité" qui réduit provisoirement le nombre d'électeurs à 184 OOO inscrits; en 1988, la limitation du vote par procuration et l'informatisation des listes électorales des communes corses croisées avec celles de l'ensemble du territoire; en 1991, avec la loi Joxe, la refonte compète des listes électorales. Cas unique dans l'histoire républicaine française, la permanence des listes électorales est supprimée.

La querelle Etat-clan se cristallise sur la notion de domicile d'origine. Pour le préfet de Haute- Corse, qui ne reconnaît que le domicile réel, la notion de domicile d'origine n'est pas un critère prévu par la loi, mais un des principes jurisprudentiels de la permanence des listes électorales. Pour les 258 maires sur les 360 communes que compte l'île réunis à Corte à huis clos, le 19 septembre 1991, la "jurisprudence constante de la Cour de Cassation considère que le lieu où l'on s'est inscrit sur les listes électorales lors de sa majorité ou lors de l'acquisition des droits civiques est une justification du domicile de nature à permettre l'inscription au titre de l'article 11". Motion unanime rendue publique et qui traduit une nouvelle fois l'opposition entre le pouvoir central et la majorité des élus insulaires appartenant aux deux grands clans traditionnels.

Si la refonte a réduit environ d'un quart le nombre des inscrits (40 000 électeurs en moins), la Haute-Corse, avec 72% de réinscriptions ou inscriptions, est plus touchée que la Corse-du-Sud plus urbaine, moins dotée d'une multitude de petites communes rurales (avec 80%). Le clan MRG est le grand perdant de cette refonte complète des listes électorales, une grande partie de sa clientèle des villages de l'intérieur ne pouvant plus voter étant constituée d'indivisaires résidant dans les agglomérations insulaires ou sur le continent; la diaspora, travaillant généralement dans la fonction publique, est en grande partie écartée tandis qu'un transfert de 30% d'inscrits se fait de la Corse rurale vers les zones urbaines. C'est pourquoi Il est le seul parti politique insulaire qui s'oppose à cette refonte en attaquant en justice le pouvoir exécutif sur les points suivants : les indivisaires ne peuvent plus voter dans leur village d'origine où certains assurent parfois depuis des dizaines d'années des mandats de maire ou de conseiller municipal; la légitimité de 'l'acquis du domicile d'origine" pour les électeurs corses est supprimée d'office avec la disparition de la permanence des listes, les électeurs bretons ou auvergnats continuant à bénéficier de ce principe jurisprudentiel. L'autorité préfectorale représentant le pouvoir éxécutif aurait exercé des pressions sur les élus et serait intervenue dans le domaine judiciaire au sein des commissions administratives, seules habilitées à juger de la validité des listes électorales.

40 sur 45 des tableaux rectificatifs déférés par les préfets devant les tribunaux administratifs sont situés en Haute-Corse et 45% des communes concernées ont un maire MRG. Sur les 29 listes annulées par le tribunal administratif, 25 sont situées en Haute Corse et, pour 56% d'entre elles ont des maires MRG (communes de l'intérieur en Castagniccia, dans le Niolu et en Balagne).

La réforme électorale du statut Joxe a le mérite de "dégonfler" des listes où les inscrits ne correspondaient plus dans des proportions alarmantes à la population résidente. Mais elle entraîne l'exclusion de la diaspora dans les choix politiques du devenir de l'île dès les Territoriales de mars 1992. Alors que l'article 1 du projet de loi Joxe voté par l'Assemblée Nationale reconnaît l'existence du peuple corse, l'article qui instaure la refonte complète des listes électorales ne retient aucun critère identitaire et place en priorité les liens fiscaux; deux mesures contradictoires avec l'esprit de la réforme. A moins que les compteurs d'électricité, de gaz ou de téléphone ne se multiplient à tous les étages des domiciles d'origine rendus obsolètes par la loi Joxe, la Corse sera privée dans les prochaines années d'un électorat qui, à défaut d'investir en capital, pouvait s'investir en "ouverture" : un peuple qui se coupe de sa diaspora ne perd-il pas un de ses atouts essentiels ?
 
 

Le gouvernement socialiste s'appuie sur des forces politiques nouvelles

Le gouvernement socialiste a fait le choix d'une troisième voie et mène à la fois une concertation suivie avec des partis minoritaires insulaires tels le parti socialiste et les formations nationalistes ou la droite libérale moderne de José Rossi. Une sorte de conseil composé de quatre élus est en liaison officieuse et continue avec le ministère de l'Intérieur durant toute la phase d'élaboration du nouveau statut : l'UDF José Rossi, le RPR Henri Antona, le socialiste Laurent Croce et le nationaliste Max Simeoni sont surnommés, dans l'île, "la bande des quatre"; aux élections territoriales, ils sont tous, excepté Max Simeoni, têtes de liste et concurrents, mais des alliances avant le scrutin en vue du second tour sont aussi attendues que celle unissant les clans de Rocca Serra et Giacobbi dans un front républicain et anti-gouvernemental. Les "modernes" de tous horizons politiques s'opposent avec une commune virulence aux clans traditionnels taxés de conservatisme et d'incompétence.

La loi Joxe, en renforçant les pouvoirs de décision régionaux et en libérant des espaces de pouvoir, a scindé la classe politique selon les générations et les activités socioprofessionnelles : la société civile entre en force dans toutes les listes de partis qui, excepté le MRG, ont tous explosé et sont constitués de rénovés et de traditionnels; le gouvernement jouerait donc la carte d'une troisième voie moderne, d'origine politique diversifiée, jeune et entreprenante, responsable et compétente. Des liens secrets se développent entre les membres de cette nouvelle classe politique insulaire qui génére un nouveau type de clan, indépendant des choix idéologiques classiques, s'adaptant avec rapidité à la réalité sociologique corse. Ses membres exploitent avec succés un nouvel espace de pouvoir induit par le développement économique et démographique depuis le début des années soixante et le retrait progressif de l'Etat-nation déléguant ses prérogatives aux responsables politiques locaux. Comme les anciens clans, qui disposaient de solides pouvoirs relais dans la capitale, ce nouveau courant, fondamentalement pro-européen, a des assises régionales, nationales et européennes.

Le pouvoir central entretient des relations privilégiées avec les nationalistes. Ils se sont officiellement alliés sur place avec la signature commune de la Charte en dix points. Lors des grèves de la fonction publique du printemps 1989, ils ont eu le même dessein de transformer ce conflit social en crise politique corse devant être réglée par une "solution globale". Le gouvernement socialiste s'est mépris en attribuant au mouvement nationaliste, comme moteur de sa lutte armée, une volonté de démocratiser et de moraliser la vie publique insulaire : pour les indépendantistes, elle n'était qu'un thème mobilisateur dans leur course au pouvoir. L'arrêt de l'usage de la violence ne peut coÏncider qu'avec la possibilité d'exercer à leur tour, pacifiquement, une pression d'ordre économique et politique.

L' hostilité active du pouvoir central aux chefs de clan traditionnel dans un contexte de retrait de l'Etat-nation, tout en précipitant le déclin du clan giacobbiste, favorise l'émergence, dans un espace périphérique dominé par des acteurs économiques internationaux, d'un néoclanisme dynamique.

Le Gouvernement joue la démocratisation de la vie publique par la décentralisation et le recul de l'Etat-nation
 
 

Les grandes grèves de 1989

Le 21 février 1989, débute un mouvement de grève des fonctionnaires, porteur de revendications d'une prime d'insularité contre la vie chère par ailleurs accordée depuis plusieurs années dans les banques et les entreprises nationalisées. Ce conflit fut révélateur d'une certaine conception des rapports entre le pouvoir central et la Corse qui est rendue pour la première fois publique lors d'un discours du Premier ministre lui-même, le 12 avril, devant l'Assemblée nationale. Le quart de la population active faisant partie du service public s'engage massivement dans ce conflit social durant dix semaines et paralyse la Corse toute entière. La grève prend naissance à Bastia, capitale économique insulaire. Bastia, ville industrielle qui vote traditionnellement "à gauche", où existe une conscience de classe et une tradition syndicale affirmée dans les entreprises et les services publics; ville de forte sensibilité politique qui se mobilise facilement : appel des Bastiais de 1938 pour la Corse française et contre le fascisme, ou, dans un passé plus récent, l'affaire "des boues rouges" contre la multinationale italienne Montedison; Bastia où l'on défile sur le boulevard Pascal Paoli et qui compte beaucoup de jeunes chômeurs. Bastia qui élira à nouveau en mars 1993 un député de gauche dans un contexte de défaite du pouvoir central socialiste contrairement aux trois autres circonscriptions insulaires où se jouaient des duels droite-droite.

Ce conflit social, le plus important que la Corse ait connu de toute son histoire, se déroule dans une première phase classique de "laisser pourrir" de la part de l'Etat, qui dure plus d'un mois et mène à une déstabilisation du milieu insulaire. Lui succède une période de concertation : le Premier ministre annonce la tenue de quatre tables rondes aux six parlementaires de l'île conviés dans la capitale; les responsables syndicaux régionaux de l'Intersyndicale sont reçus à leur tour à Paris le trente-deuxième jour de grève par le ministre de la Fonction publique qui leur propose une prime de transport d'un franc par jour perçue comme une "gifle"; les représentants du STC non grévistes et peu représentatifs sont reçus parallèlement au ministère pour préparer la troisième table ronde sur la fonction publique. Situation énigmatique : l'Etat refuse de négocier avec ses fonctionnaires grévistes qui ne contestent pas sa légitimité, mais qui sont réduits au traditionnel face-à-face avec les forces de l'ordre alors qu'il prend l'initiative du dialogue avec la mouvance nationaliste. Durant tout le conflit, les syndicats nationalistes ont multiplié "les irruptions sauvages dans les bâtiments administratifs... Jamais d'effraction ni de dégradation. Ce sont les termes de l'accord tacite avec les autorités, en vertu de quoi on les laisse étudier à loisir le contenu des placards et éplucher les dossiers les plus confidentiels. Aprés avoir photocopié ce qui les intéresse, ils plient bagages courtoisement, non sans avoir attendu le photographe de la presse locale pour laisser une trace de l'évènement" (Daniel schneidermann, Le Monde, 20 avril 1989). Le mouvement revendicatif devient alors antinationaliste.

La grève générale de plusieurs mois a révélé et modifié, localement et sur le plan national, le jeu des acteurs politiques et sociaux : durant ce conflit social, l'Etat abandonne, aux yeux des grévistes insulaires corses et continentaux, les notions de parité et de solidarité; le gouvernement Rocard transforme, avec le soutien tacite des socioprofessionels et des nationalistes, un vaste mouvement social de revendication de pouvoir d'achat de la fonction publique en "problème corse" devant être réglé par "une solution globale" d'ordre politique. Le Premier ministre parlera de "comédie" en mentionnant les négociations menées par l'Intersyndicale : cette attitude fut lourde de conséquences, les syndicats étant devenus, en Corse, les seules forces revendicatives luttant à visage découvert. Leur revendication majoritaire, unitaire et massive, qui a pu se développer dans une pèriode de trève décrétée par le FLNC, s'exprime, comme l'explique le Préfet de région, J.G Marzin, comme "une explosion de gens qui étaient quasiment interdits de revendications et de grève depuis dix ans pour cause de bombes".

Cette remise en cause de leur responsabilité est d'autant plus mal acceptée par les grévistes que le discours du Premier Ministre, le 12 avril, à l'Assemblée nationale, évoque étrangement les conditions du rattachement de la Corse à la France : "la France a acheté les droits de suzeraineté sur la Corse à la République de Gênes, mais il a fallu une guerre pour les faire reconnaitre ! Et la France a perdu dans cette guerre plus d'hommes que pendant la guerre d'Algérie". Cette déclaration émise à l'occasion d'un conflit social qui fait fi des réalités historiques - elle omet la proclamation solennelle du rattachement de la Corse à la France le 30 novembre1789 à l'Assemblée nationale, sur proposition du député corse Saliceti - révèle en fait une certaine vision des rapports entre le pouvoir central et la Corse : en dissociant la Corse et la France, en mettant l'accent sur des aspects mercantiles et violents, en établissant un parallèle entre l'Algérie décolonisée et la Corse (qui le sera donc ?), le chef de gouvernement manifeste une démarche politique qui ne peut que satisfaire les courants nationalistes. Durant les grands conflits sociaux de la sidérurgie dans le Nord-est de la France, a-t-on évoqué les pertes de la France durant la guerre de 1914-1918 ? Qu'a dans la tête le Premier Ministre de la République Française en pensant à l'avenir de l'île de Beauté? La réponse ne se fait pas attendre : à l'issue de cette crise sociale qui paralyse l'île, une réforme institutionnelle d'autonomie interne votée par le Parlement à l'initiative du gouvernement est appliquée dans l'île sans consulter la population et contre l'avis des élus parlementaires régionaux. La classe politique corse, excepté les nationalistes et les socialistes, dénoncent le désengagement de l'Etat.
 
 

Opposition entre pouvoir régional et pouvoir national

Le gouvernement socialiste a voulu implanter des institutions "susceptibles par la responsabilisation effective des élus locaux, de favoriser dans l'île un apprentissage du mode institutionnel, républicain, de gestion de l'intérêt général" (T.Michalon). Peut-on imaginer des élus corses rompus aux techniques politiciennes ignorer l'usage, l'abus ou le contournement du mot responsabilité ?

Paradoxalement la droite traditionnelle claniste, hostile à la politique de décentralisation du gouvernement et à dominante régionale, occupe les deux postes clés du Conseil exécutif et de l'Assemblée territoriale tandis que le néoclanisme libéral à assise de pouvoir départemental, favorable au statut Joxe d'autonomie interne, préside les deux conseils généraux de l'île. Pouvoir national et pouvoir territorial n'ont que des relations conflictuelles depuis la rupture de la dynamique Etat-clan : la majorité régionale accuse traditionnellement le pouvoir central d'être responsable de la crise et de la "dérive" de l'île d'autant plus qu'elle n' appartient pas à la majorité présidentielle.

L'Etat remet en cause le manque d'initiative des clans traditionnels qui perdure : ils n'ont pas mis au point de plan de développement régional; le schéma d'aménagement de l'île a été élaboré par les services de l'Etat : tout se passe comme si les initiatives devaient venir de Paris, puis être soumises au pouvoir de décision des instances régionales. La question du statut fiscal dérogatoire est sur ce point exemplaire : alors qu'un point essentiel du débat territorial porte sur le projet de statut fiscal pour la Corse prévu par l'article 63 de la loi Joxe, aucune structure de réflexion ou cellule de travail sur ce thème n'a été mise en place par les responsables territoriaux; la revendication unitaire des clans traditionnels, du néo-clanisme libéral et des nationalistes, réalisant à l'occasion une union sacrée, se fait sur le principe d'un statut fiscal dérogatoire sans en donner de contenu. Les six élus régionaux roccasseristes et nationalistes mettent comme préalable à tout travail au sein de la Commission mixte Etat-collectivité territoriale du 6 novembre 1992 l'acceptation du principe de statut fiscal dérogatoire par Paris et Bruxelles; or, l'absence de contenu le rend irrecevable par ces instances. Il en résulte le gel des travaux. Contrairement aux rumeurs locales, aucun cas de figure de statut fiscal dérogatoire n'existe dans la CEE, les autres îles de Méditerranée ou les TOM ne bénéficiant que de mesures ponctuelles (remise de 30% de la TVA par rapport au continent grec pour les îles du Dodécanèse) ; la date du 1er janvier 1993 n'a aucune incidence ni sur les acquis fiscaux reconduits jusqu'en décembre 1996 (taux actuels de TVA et droits d'accise), ni sur cette demande de statut fiscal devant être proposée à l'Assemblée nationale, puis à Bruxelles dans l'année suivant l'installation de l'Exécutif régional, soit courant printemps 1993. Malgré cette confusion, une coordination se met en place et organise une manifestation de prés de 10 000 personnes conduite principalement par la droite insulaire et les nationalistes et clôturée par une "nuit bleue". Le problème d'établissement d'un statut fiscal sans qu'il y ait de plan de développement régional n'est soulevé par aucune des parties manifestantes...

Cette absence d'action paritaire entre gouvernement central et pouvoir régional est mise en évidence dans l'élaboration et la mise en place du statut Joxe : tous les élus régionaux n'ont pas été consultés. Les circonstances du vote à l'Assemblée nationale méritent d'être rappellées et autorisent quelques questions : excepté l'article 1er sur la reconnaissance du "peuple corse" qui engage l'ensemble de la République, le projet Joxe est voté à l'Assemblée nationale en présence de onze députés dont quatre insulaires sur 577; des amendements ont été repoussés à main levée par six voix contre cinq. Que devient la représentation des élus régionaux et leur légitimité dans le cadre de la République dès lors que leur crédibilité semble mise en cause? Que devient la représentation des élus nationaux sur un enjeu régional? Le désinterêt des parlementaires nationaux pour un enjeu régional, s'il n'est pas un accident historique, rend incertaines la cohabitation et la complémentarité des légitimités nationale et régionale. Est-ce que l'intérêt général peut prendre en compte l'interêt régional par la structure républicaine?
 
 

Disparition de l'Etat de droit, "dérive" de la Corse, terrorisme et mafia
 
 

Le Corse sert l'Etat, de l'employé au ministre : c'est une tradition, le secteur public et parapublic représentant 6O% des ressources des ménages. Sur le continent, le lobby corse est présent et actif dans l'appareil politique national. Le nouveau ministère Balladur compte sept ministres d'origine insulaire ou apparentés. Ces relations bilarérales depuis des siècles ont rendu cette perception de l'Etat duale : il est jugé responsable de tous les maux et, en même temps, seul capable de résoudre tous les problèmes locaux d'ordre politique, social ou culturel; interlocuteur privilégié dans les discours de tous les hommes et partis politiques, des rocasseristes aux nationalistes, il est le partenaire obligé aux yeux des hommes politiques corses qui lui réclament à l'unanimité une assistance, un rattrapage historique ou des mesures dérogatoires; selon l'observatoire régional de l'INSEE (n°59), les départements interviennent plus qu'ailleurs dans l'économie de la région avec un financement faisant appel à la solidarité nationale dans le domaine de l'action sociale et la charge d'infrastructures lourdes. Le libéralisme économique est occulté par les insulaires, tous les problèmes devant être résolus administrativement par le pouvoir central. La confusion est totale entre Etat et société civile. Inversement, alors que l'Etat n'a jamais autant donné financièrement à la Corse, un de ses devoirs premiers, la sécurité, n'est plus assurée dans l'île depuis plusieurs années.
 
 

La disparition de l'Etat de droit

La politique du fora, "dehors", fondée sur la notion de "communauté historique" aboutit à la mise en place d'un véritable système terroriste reposant sur le plasticage et le mitraillage par des commandos armés et cagoulés opérant de nuit contre des familles continentales qui ont toutes comme point commun de ne bénéficier d'aucune protection sur place, ni famille, ni clan, les organisations syndicales les soutenant jouant le jeu démocratique à visage découvert. Les travailleurs de la fonction publique sont les plus visés : le FLNC devient l'ordonnateur des mutations et il s'établit dans les faits une corsisation des emplois; les attentats revendiqués au début des années quatre-vingt exclusivement par les organisations clandestines nationalistes, dans une deuxième phase, sont d'origine politique et de droit commun. En I992, ont lieu 569 attentats, dont une minorité est revendiquée par les clandestins. Depuis 1987, il y a en moyenne en Corse chaque jour un attentat et un hold-up; les banques ne sont plus simplement plastiquées mais dévalisées. Les querelles familiales se règlent de plus en plus par les armes traditionnellement fort répandues dans l'île. De nouvelles générations sont nées et ont grandi dans ce climat de violence où le moindre litige se traduit par des menaces. La notion de sécurité collective n'existe plus aussi bien pour les Corses que pour les continentaux.

La radicalisation de la violence depuis 1975 a deux origines : la violence de la politique de répression de l'Etat a conduit aux drames d'Aleria en 1975 (3 morts) et de Bastelica-Fesch en 1980 (trois morts); la radicalisation des actions violentes des clandestins du FLNC depuis 1982, qui revendique plus d'une dizaine d'assassinats, a généré un climat de terreur propice au développement de la violence de droit commun dans une société démocratique et républicaine. En 1990, ont lieu 28 meurtres ou exécutions qui touchent des catégories trés diverses de la population, du truand visé par un règlement de compte à l'homme public, vice-président du conseil général de Corse-du-Sud, haut fonctionnaire attaché au cabinet du ministre de l'Artisanat et du Commerce ou président de la chambre régionale d'agriculture; en 1992, 40 homicides sont perpétrés dans l'île. Les évènements d'Aleria ont légitimé l'action clandestine contraire au code de l'honneur traditionnel en Corse aux yeux de militants nationalistes : une lutte armée à visage découvert face à l'engagement massif des forces de répression de l'Etat s'est avérée dérisoire et suicidaire; les actions clandestines ont à leur tour banalisé et légitimé la violence de type mafieux : sous la cagoule se dissimule soit le militant, soit le truand, soit une même personne assurant ces deux fonctions et se dotant par cet artifice d'un label politique et immunitaire. Comment différencier désormais "impôt révolutionnaire" et racket?

Tous les partis politiques de la majorité et de l'opposition, jusqu'au Président de la République, s'accordent pour constater que la Corse est en pleine "dérive" que certains qualifient de "mafieuse"; les principes républicains de solidarité, de loi et d'ordre public ne sont plus respectés. Le problème de la disparition progressive de l'Etat de droit, dénoncé en premier lieu par les clans traditionnels, est posée actuellement par certains nationalistes. Les gouvernements de droite et de gauche ont adopté des politiques opposées, répression et subventions publiques pour la droite, dialogue et réformes institutionnelles pour la gauche. Mais de 1981 à 1991, les gouvernements de gauche et de droite ont eu la volonté commune de minimiser la violence et le terrorime qui sévissent dans l'île.

La droite au pouvoir jusqu'en 1981 a voulu représenter un "Etat fort", niant l'existence du "problème corse". A Aleria, de part et d'autre, on recherche l'affrontement qui va mener au drame. La fermeté du verdict de la Cour de Sureté de l'Etat contre E. Simeoni a eu comme conséquence d'écarter le chef modéré du mouvement nationaliste et de laisser occuper le terrain par les radicaux de l'action clandestine (Pierre Dottelonde). Un cycle violence-répression se met en place et conduit à l'emprisonnement de plus d'une centaine de militants nationalistes majoritairement membres du FLNC. Parallellement, le gouvernement laisse se développer le groupe FRANCIA, composé de "barbouzes", qui agit en toute impunité. Cela va conduire en janvier 1980 au drame de Bastilica-Fesch où la repression aveugle du gouvernement - qui veut empêcher la publication de la liste des membres de Francia par les autonomistes qui ont séquestré un des principaux dirigeants de cette organisation - va entraîner, au cours d'une nuit tragique, la mort de trois personnes, un policier victime d'un tireur et deux passants victimes de "bavures policières". Avec la cohabitation de 1986 à 1988, une politique de répression menée sous le ministére de l'Intérieur de Charles Pasqua est à nouveau mise en place, sans effet puisque la violence augmente sous forme d'attentats et de meurtres.

Sur le plan local, au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, s'était établie une alliance objective entre les clans traditionnels et les formations nationalistes bien que publiquement farouchement opposés. Pour preuve la violence et le terrorisme confortent, selon une logique complexe, ces deux formations antagonistes : les chefs de clan, accusés d'être les principaux relais du "colonialisme", n'ont jamais été cibles de plasticages des clandestins; par ailleurs, le clan jugé omnipotent par les nationalistes n'use pas de ses pouvoirs de pression pour éradiquer le terrorisme. En outre, la violence et la terreur maintiennent une situation de non-développment entretenant de fait le système clientéliste. Simultanément, cette violence rend une crédibilité, voire une légitimité à des partis politiques qui désormais font de sa condamnation un axe de programme faute de n'avoir jamais été en mesure d'élaborer un plan de développement ni un schéma d'aménagement comme le prévoyait le statut particulier. Cette alliance objective est devenue visible par une manifestation dans les rues de Bastia, le 28 novembre 1992, portant sur la revendication d'un statut fiscal dérogatoire pour la Corse. Dès lors, l'"union sacrée" semble officialisée entre le clan traditionnel du "Renard argenté" (Jean-Paul de Rocca Serra) et les mouvements nationalistes : défilaient côte à côte et en tête du cortège contre l'Etat jugé responsable de tous les maux fiscaux les élus du clan roccasserriste dont le président du conseil exécutif, le président de l'Assemblée territoriale et les élus nationalistes.

Pour la gauche, seule une solution politique institutionnelle et un parti pris de dialogue avec les nationalistes sont capables de rétablir la paix civile; amnistie des prisonniers politiques en 1981 et 1988, suppression de la Cour de sûreté de l'Etat et statut particulier en 1981, multiplication des contacts avec les clandestins en 1988 et statut Joxe. Le gouvernement renforce le pouvoir exécutif local; dans une lettre adressée à une des victimes du FLNC en novembre 1982, il déclare que "depuis le 8 août 1982, date de l'élection de la nouvelle Assemblée de Corse, c'est entre les mains des Corses eux-mêmes que repose désormais l'avenir de l'île" (Lettre de Matignon n°111796 et cote CAB.VI-3 HL/MCV). La trêve des attentats decidée par les clandestins à chaque élection de la gauche en réponse aux mesures d'apaisement de Paris est de courte durée, l'année 1982 totalisant le plus d'actions violentes en Corse de 1981 à nos jours; alors que le dialogue entre gouvernement socialiste et nationalistes se poursuit, la violence et le terrorisme se développent.

Sur place, la justice et la police sont devenues impuissantes. Aucun des assassinats revendiqués par le FLNC n'a été jusqu'à ce jour élucidé, ni ceux de 1990 concernant les trois élus insulaires dans "l'affaire du Golfe Sud". Les comités ministériels se succèdent, les déclarations d'intention et l'envoi de hauts fonctionnaires de la part de l'exécutif se multiplient. Les gouvernements successifs de gauche et de droite ont suggéré puis dénoncé le manque de civisme de la population accusée d'observer l'omerta : en 1987, le ministre de l'Intérieur Charles Pasqua propose des primes; en 1991, le ministre délégué à la justice Georges Kiejman lance un appel au civisme assorti de menaces de "mandats d'amener à l'égard des témoins récalcitrants". Faire appel au civisme sous forme de primes ou de menaces dans une île où il n'est plus un secret pour personne que ce manque de coopération doit être replacé dans un contexte de terreur ressemble fort à un transfert de responsabilité. Ce manque de coopération peut s'expliquer également dans une micro-société dotée d'un caractère citadin récent, pourvue de liens segmentaires toujours actifs de même que les liens familiaux de la "famille élargie".

La stratégie du silence des autorités publiques signifie qu'elles s'accomodent d'une situation de violence et de terrorisme. Cette attitude désinvolte, ou naïve, a contribué de fait à la banalisation de la violence : durant les années quatre-vingt, les fonctionnaires de l'Education nationale, devenus la cible de choix des clandestins, refusent à l'unanimité et tous syndicats confondus, excepté les nationalistes, de "jouer seuls les fantassins de la République" : une grève administrative du corps enseignant, qui a déposé plus de cent plaintes d'août 1982 à mai 1987, fut menée durant plus de trois semaines pour que l'Etat s'engage à assurer leur sécurité. A chaque attentat, leur hiérarchie administrative se refusait à tout commentaire ou condamnation officielle; au lendemain d'attentats, un recteur a déploré l'absentéisme des enseignants sans mentionner les plasticages de la nuit. La légitimité de l'Etat est bafouée dans ses représentants et représentations directs : destruction du conseil général et de la préfecture de Haute-Corse; bâtiments publics régulièrement détruits par des plasticages : DDE, DDA, hôtels des impôts, inspections académiques, pour certains d'entre eux à plus d'une dizaine de reprises. Le préfet et ses collaborateurs sont ridiculisés en novembre 1989 lors de l'incendie criminel de la chambre d'agriculture qui se déroule en leur présence; le commissaire au développement, Aurélien Garcia, est quant à lui déposé dans un sac poubelle sur le tapis à bagages de l'aéroport d'Ajaccio.

Les stratégies de droite et de gauche ont échoué dans leur volonté de sauvetage de la paix civile. Il semble qu'il y ait de moins en moins de corrélations entre l'action des représentants de l'Etat et les fluctuations de la violence et du terrorisme politique ou de droit commun qui ne cessent "qualitativement" de se radicaliser; les années 1982-1983 et 1990-1991, avec les socialistes au pouvoir, ou 1986-1987, avec un gouvernement de droite, ont connu un taux trés élevé d'actions violentes. Ces dernières ne sont plus en concordance avec la politique menée par l'Etat-nation et se sont amplifiées avec la décentralisation. Le désengagement de l'Etat laisse place à d'autres pouvoirs illégaux dont les moyens d'action se multiplient avec la disparition de la sécurité des citoyens. La dérive mafieuse dénoncée par certains partis politiques de gauche, des syndicats nationaux ou l'ANC n'obéit pas à une logique politique et idéologique à échelle nationale, elle s'étend sans considération de fluctuations politiques d'un pouvoir central en recul stratégique. Les réformes institutionnelles des gouvernements socialistes devaient régler pour Paris le problème de la violence mais déjà à partir de 1983 le terrorisme n'était plus exclusivement politique; quels peuvent être les effets salvateurs du statut particulier ou du statut Joxe dans un contexte de dérive mafieuse croissante ?
 
 

Développement du phénomène mafieux

Une nouvelle violence s'est développée en Corse : le banditisme d'origine insulaire et d'influence nationale et internationale, qui n'avait pas investi massivement dans l'île, travaille aujourd'hui au pays; le thème du danger de l'implantation du grand banditisme et du terrorisme, "indissociables et qui se nourissent l'un de l'autre", a été soulevé officiellement et pour la première fois par le conseil général de Haute-Corse au cours d'une session extraordinaire les 21 et 22 octobre 1986 à l'initiative du maire d'Aleria, Vincent Carlotti, responsable socialiste de Haute- Corse. Le risque de dérive mafieuse est dénoncé par les fédérations du Parti communiste et par l'ANC qui en fait un thème de sa campagne. Cette mafia est-elle corse, comme l'affirment policiers et magistrats (voir Le Monde du 3 janvier 1992), ou est-elle dotée d'antennes italiennes, comme l'assurent des journalistes de la Cinq ?

Plusieurs foyers mafieux se sont développés sur le littoral et en zone urbaine ; l'espace de pouvoir microrégional généralisé dans l'île concerne le milieu. Aux implantations traditionnelles situées dans la partie méridionale de l'île, comme le Valinco ou le Haut Taravo et réactivées en Balagne, se sont ajoutés et développés des foyers comme celui de la Brise-de-mer dans le grand Bastia dans les années quatre-vingt. Selon le journal Le Monde du 8 novembre 1986, une nouvelle génération de truands a investi sur place dans les boites de nuit, dans l'immobilier, le tourisme et l'import-export et des rivalités entre bandes se traduisent par un grand nombre d'assassinats. Les affaires politico-criminelles et les enquêtes financières se multiplient. Des nouveaux pouvoirs qui se développent sur le littoral appartenant au MPA nationaliste ou au néo-clanisme de droite de Haute-Corse, qui contrôle une grande partie de la vie économique du grand Bastia, sont poursuivis par la justice (voir Le Monde du 3 octobre 1992). Suivant Le Monde du 8 novembre 1986, lors de l'élection à la tête de la chambre de commerce, "il est apparu que la plupart des suffrages auraient été exprimés par procuration et que bon nombre de ces dernières auraient été sollicitées par des amis de la Brise-de-mer ". Le racket s'est généralisé, touchant tous les acteurs de la vie économique corses ou continentaux. Les victimes d'extorsion de fonds et d'attentat ne portent pas plainte et observent la loi du silence plus par peur que par tradition... Le procureur de la République à Bastia, Roland Mahy, déclare : "tous les ingrédients d'une dérive mafieuse sont réunies avec la collusion entre l'administratif, le politique et la délinquance". Les services de police, également consultés par le journal La Corse, font état "de notabilités qui seraient des correspondants de la "Camora" napolitaine et favoriseraient l'implantation de ses capitaux notamment sur la côte occidentale entre Ajaccio et Porto" (La Corse, 13 juillet 1992).

La proximité de la Sardaigne et de la péninsule italienne facilite l'implantation de ramifications italiennes dans un milieu déstabilisé qui vit la violence au quotidien et qui a toujours été un réservoir exportateur de gangsters à l'échelon national et international. Le Canard Enchainé titre, le 29 août 1984, "la mafia italienne fait des petits dans l'île" et ajoute, le 29 octobre 1986 : "leur modernisme, leur sens des affaires, leur habileté à manier le gros calibre sans se faire coincer et leurs amitiés naissantes avec quelques hommes politiques locaux et avec les grands frères de la mafia italienne semblaient dignes d'interêt". L'opération Broussard, en 1984, contre "la Brisede- mer" ne reçoit pas l'aval du minisre de la Justice. L'arrestation, à Porto-Vecchio, de Matteo Boe, un des plus grands criminels sardes spécialiste des rapts contre rançon et faisant partie de l'anonima sequestri, ancien militant du Movimento armato sardo, organisation indépendantiste sarde, pose pour le journal Corse-Matin du 15 octobre 1992 le problème de complicités sur place. " Ainsi, dans le Sud de la France, comme en Corse où l'on n'a pas encore vérifié si se posaient des problèmes graves, des investissements immobiliers doivent retenir notre attention" déclare le juge Liliana Ferraro qui dirige la lutte anti-mafia en Italie.

Dans sa requête initiale tendant à la mise en place, en novembre 1992, de la Commission d'enquête parlementaire sur les moyens de lutter contre les tentatives de pénétration de la Mafia en France, dont fait partie le député de la première circonscription de Haute-Corse, François d'Aubert fait état de l'"influence croissante de la Mafia dans l'hexagone en liaison avec les milieux locaux" et situe cette expansion mafieuse sur "le littoral méditerranéen, les régions Rhône-Alpes et parisienne et la Corse". Le blanchiment de l'argent sale se fait sur un littoral en plein développement touristique comme dans le sud de la Corse ou en Balagne. Alors que l'ANC commet un attentat spectaculaire dans un village-vacances contre "les interêts de la mafia à Cavallo", en juillet 1992, le rapport de la commission suspecte les investissements opérés dans cette île par un spécialiste du recyclage "en odeurs de mafia" en Italie.

La "pieuvre de la Mafia est déjà là" déclarent les journalistes de La Cinq dans leur émission Reporters du 28 avril 1991 en analysant l'affaire du Golfe Sud d'Ajaccio où spéculation immobilière, blanchiment de l'argent sale et construction d'un casino seraient à l'origine de plusieurs assassinats dont ceux du président de la chambre régionale d'agriculture et celui du vice-président du conseil général de Corse-du-Sud, maire de Grosseto Prugna. F. Giacobbi affirme devant la commission des finances du Sénat qu'il y a de la Mafia en Corse et ne "sait si elle vient de Sicile ou de Sardaigne".
 
 
 
 

2. La Communauté Européenne acteur politique et économique en Corse
 
 

La Communauté Européenne devient un acteur de plus en plus effectif dans l'île où ses interventions se multiplient durant la dernière décennie dans les domaines institutionnel et financier.

Dès les années soixante-dix, le problème du statut des îles européennes était soulevé par les instances de la Communauté. En avril 1981, à Tenerife, la première Conférence des Régions Insulaires Européennes, réunie à l'invitation de la Conférence des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe, rappelle la résolution 67 de 1970 sur la régionalisation en Europe, qui précise que "l'autonomie régionale (...) implique l'élection au suffrage universel direct ou indirect des autorités délibérantes et exécutives régionales". Elle juge "fondamentaux" les facteurs politiques et institutionnels qui s'inscrivent dans une politique de "décentralisation démocratique des institutions nationales". Le Comité des Ministres du 19 mai 1987, dans sa recommandation N10, " demande d'établir, s'il n'existe pas encore, le cadre institutionnel permettant aux îles de jouir d'une autonomie de droit et de fait". L'Italie, l'Espagne et le Portugal, qualifiés d'"états régionaux" par Claude Olivesi, ont reconnu le principe d'autonomie insulaire par loi organique ou constitutionnelle. Depuis mai 1991, la Corse, par acte législatif dérogeant au droit commun de la décentralisation, s'est alignée en partie sur les autres îles de Méditerranée occidentale dotées d'exécutifs régionaux. Le Président de la Commission des Communautés européennes, Jacques Delors, au colloque d'Ajaccio d'octobre 1989 sur le développement économique et l'identité cuturelle des îles de l'Europe, se fait le défenseur de l'auto-développement : "chacun doit pouvoir mettre en valeur ses propres ressources humaines et naturelles. Il est fini le temps... où la périphérie envoyait de l'argent et le centre des activivés".

Le traité de Maastricht qui prévoit la création d'un Comité des régions à caractère consultatif "composé de représentants des collectivités régionales et locales", intéresse au premier chef la Corse. Sur le plan financier, l'île a reçu 150 milliards de centimes de1987 à 1993 de l'Europe, par fonds structurels, PIM ou autres programmes européens. La Corse est la seule région de France métropolitaine à être dotée des fonds structurels devant promouvoir le développement et l'ajustement structurel des régions en retard de développement. Bien que son PIB ne l'autorise plus à être éligible, sa réintégration, qui ne peut se faire que par vote spécifique du Conseil, est acquise malgré son vote négatif sur la ratification du traité de Maastricht. En France, la Corse dispose du plus fort taux de crédits européens par habitant.

Une stratégie de développement et de choix d'axes prioritaires est menée dans un souci de cohérence entre les efforts régionaux, nationaux et européens fondés sur un programme de développement régional qui conduit à un financement conjoint : la règle des trois tiers est observée. Dans ce contexte, la CEE détient un pouvoir de décision non négligeable : elle définit des objectifs et, sur une base de contractualisation, verse la moitié du financement prévu par ses services. Il est difficile, dans ces conditions, pour la région, dans une logique électorale, de refuser projet et financement ainsi associés (Michel Rombaldi). Infrastructures de désenclavement interne et externe, équipements hydrauliques, formation professionnelle, investissement dans les secteurs touristique et agricole et environnement sont devenus les domaines d'intervention privilégiés de la CEE. Le développement de la Corse doit reposer sur le tourisme de luxe : la nouvelle division spatiale du travail décidée à Bruxelles fait de l'île un produit naturel "de caractère" grâce à un "capital esthétique" pour la reproduction de la force de travail des cadres européens. Cette nouvelle stratégie européenne repose sur une spécialisation interrégionale. La décision récente d'interdiction du passage des pétroliers dans le Golfe de Bonifacio par la France et l'Italie s'inscrit dans cette logique en créant une zone protégée liant la Costa Sméralda sarde à "l'île des milliardaires" de Cavallo et à la micro-région bonifacienne agrémentée de son domaine de Sperone.

Le programme INTERREG encourage les relations transfrontalières entre la Corse et la Sardaigne, qui se tournent le dos depuis des siècles, mais qui sont souvent réunies dans des projets communautaires de "confédération corso-sarde" par certains élus européens : des mesures tentent d'établir une continuité territoriale entre la Sardaigne et la Corse-du-Sud ; valorisation de l'environnement marin avec le projet d'un parc international des Bouches de Bonifacio piloté par un comité franco-italien et définition en commun de produits touristiques nouveaux ; dès 1986, prévision dans les PIM d'une étude sur un produit touristique intégré Corse-Sardaigne-Toscane; renforcement des échanges culturels et technologiques à partir des universités de Sassari et Corte.

La CEE s'est déclarée favorable à une autoroute Bastia-Bonifacio, axe européen Ligurie-Corse-Sardaigne et représentant une liaison facilitée entre la Toscane et la Sardaigne et qui serait une infrastructure susceptible de développer la Corse orientale.
 
 

3. De nouveaux espaces de pouvoir

Contrairement au réferendum de Maastricht "extra-insulaire", les élections territoriales cantonales et législatives ont témoigné des rapports de force internes aux microrégions, milieu privilégié de toutes les initiatives politiques locales actuelles où se maintient ou disparait, se forme ou se développe le pouvoir des chefs du clanisme traditionnel ou du néo-clanisme, de la droite libérale, du courant nationaliste et des "partis français".
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Le corps électoral a connu de grandes mutations : insulaire devenu un citoyen citadin chez lui
 
 

Région longtemps rurale, la Corse a été marginalisée au sein d'un environnement géographique italianisant par des facteurs trés divers : l'originalité républicaine française d'un Etat centralisé privilégiant des relations bilatérales avec le continent français; non-développement local jusque dans les années soixante avec "l'exode des cerveaux" et l'immobilisme des clans; réseau urbain peu développé et non "polarisé" dans un milieu cloisonné par le relief et le vécu; diaspora qui n'investit pas sur place mais représente un lobby dans l'appareil politique national; gangsters dont les organisations ont toujours refusé de travailler au pays jusque dans les années soixante- dix. Durant ces trente dernières années, l'électorat a connu de profondes mutations structurelles.

Glissement de l'électorat vers le littoral urbain

L'INSEE a évalué à 59% des insulaires la population urbaine de la Corse en 1990 et distingue, en 1992, quatre "zones-centres" qui sont des zones côtières structurées autour d'un pôle d'attraction trés fort : Ajaccio, Bastia, l'extrême Sud et le Valinco, qui rassemblent presque les deux tiers de la population insulaire, 70% des actifs et sept insulaires de moins de 25 ans sur dix. Ces bassins de vie se développent dans le cadre d'activités tertiaires administratives, commerciales et touristiques. Les villes de Corte, Calvi ou Sartène connaissent une croissance démographique notable tandis que les bourgs-centres comme Folelli ou Ponte Leccia se peuplent avec une désertification des villages environnants.

L' urbanisation anarchique des années soixante et soicante-dix a généré des agglomérations peu homogènes. Ajaccio et Bastia ont une structure duale avec une nette juxtaposition de quartiers riches et quartiers pauvres : on est loin des constructions égalitaires des villages de montagne de Haute-Corse où la maison des sgios était difficilement discernable au sein de l'habitat villageois. Pour des agglomérations de 60 000 habitants, le contraste entre les types d'habitat est significatif de l'acuité des problèmes sociaux se posant dans l'île en mal développement : l'expression des suffrages est trés differenciée entre les quartiers résidentiels ou populaires d'Ajaccio et de Bastia. Dépourvue de capitale régionale, la Corse est dotée de petites villes essentiellement côtières pouvant difficilement impulser un développement et ne générant que des espaces de pouvoir microrégionaux où les villes deviennent rivales : Ajaccio et Bastia, L'Ile-Rousse et Calvi, Porto-Vecchio et Bonifacio. En résulte une stratégie du saupoudrage excluant tout plan global de développement ; l' espace est défini et aménagé suivant les clans et les pouvoirs politiques locaux, d'où son éclatement. L'abondance des candidatures aux territoriales et aux cantonales, de primaires à droite aux législatives témoigne de cette juxtaposition de potentats locaux et d'une stratégie d'alliances conjoncturelles d'autant plus indispensable dans une situation de classe politique éclatée en cours de restructuration avec la mise en place du statut Joxe.

Ces petites villes manquent de dynamisme dans une situation de crise démographique aggravée par la logique du fora et du nationalisme d'exclusion : de nombreux continentaux et immigrés maghrébins menacés et plastiqués sont partis. Curieusement, l'immigration italienne n'a été que peu concernée par ces intimidations durant les années quatre-vingt. Les Corses du continent également inquiets demandent de moins en moins le "retour au pays" tandis que de plus en plus d'insulaires, pour la plupart aisés, le quittent, soit par refus de vivre dans une atmosphère d'exclusion et d'intolérance, soit parce qu'ils en sont devenus à leur tour les victimes. Depuis une dizaine d'années, les demandes de poste dans la fonction publique de l'enseignement à partir du continent ont chuté, certains postes n'ont plus été pourvus. Les nationalistes proposent le retour d'une diaspora constituée de plus de 400 000 personnes implantées majoritairement dans la région parisienne et la région PACA. Mais cette dernière ne veut pas revenir excepté pour la retraite : l'enquête de "Forum-Paris-Corse" en 1991 sur les Corses de l'extérieur révèle que seulement 18,5% des personnes interrogées ont fait une demande de mutation ou des démarches pratiques pour s'installer en Corse. Le grand Rigiru souhaité par les nationalistes est devenu un mythe.
 
 

Nouvelles mentalités et mutation des comportements politiques

Lorsque la commune était majoritairement rurale, elle multipliait et polarisait des potentialités considérables de vote, les familles de l'île et du continent votant en bloc pour le maire de la commune, maillon de base du système clanique. Avec la refonte complète des listes électorales et la poursuite de l'exode rural, les communes de l'intérieur essentiellement en Haute-Corse ont perdu beaucoup d'électeurs au bénéfice des villes côtières ou de plaine dont la zone d'influence est microrégionale. La population jeune s'inscrit de plus en plus là où elle travaille. Un tiers de l'électorat du grand Bastia et du grand Ajaccio est âgé de 30 ans. La ville, devenue un lieu de résidence, de travail et de vote, libère de l'emprise des clans traditionnels : de nombreux emplois dans des activités spéculatives ne dépendent pas d'eux. Les notions de clan et de société segmentaire évoluent sur le littoral urbain où se situe l'activité économique : les rapports deviennent classiques et se banalisent sous l'effet conjugué de l' éclatement familial, du morcellement, de l'intéret personnel ou de la syndicalisation.

Avec la perte du village comme lieu de résidence et repère d'identité, le citadin acquiert une revendication identitaire et refuse l'"exil" : il quitte sa ville plus difficilement que son village pour aller travailer sur le continent.

Aujourd'hui les formations politiques dynamiques sont localisées en milieu urbain du littoral à vocation touristique, devenu le siège privilégié du néo-clanisme libéral et du courant nationaliste qui recrutent chez les jeunes, les "socioprofessionnels" et les professions libérales. Le vote des jeunes se porte de manière préférentielle vers la mouvance nationaliste par idéologie ou par volonté de sanctionner un gouvernement jugé responsable du chômage qui touche un grand nombre d'entre eux. Le vote pour le néo-clan est le résultat de la domination économique croissante de ses entreprises, surtout en Haute-Corse.

Le grand gagnant de ces élections locales en Haute Corse est Paul Natali : le néo-clan de la micro-région bastiaise est en quatrième position dans le département nordiste aux Territoriales avec 12,2% des voix ; son influence, jusque là localisée dans la banlieue sud de Bastia, est devenue départementale. Deux micro-régions ont voté massivement pour le président de la chambre de commerce et d'industrie de Bastia: le grand Bastia, avec ses communes méridionales, et la Balagne où, aux législatives, son allié P. Patriarche arrive en tête devant le représentant du clan roccasserriste traditionnel. Si le pouvoir politique du nouveau président du conseil général de Haute-Corse est essentiellemnt local, son pouvoir économique dépasse les frontières de l'île ; il devient le rival au sein de la droite nordiste de J. Baggioni, pouvoir relais parrainé par le député de Porto-Vecchio et Paris tandis que lui même assure seul son pouvoir politique sur une omnipotence économique.

En effet, en Haute-Corse se développe un néo-clan libéral dont le chef ne répond à aucun critère d'usage de recrutement de l'homme politique corse habituel : Paul Natali n'appartient pas au vivier traditionnel des responsables politiques locaux exerçant tous une profession libérale : c'est un homme d'affaires dirigeant plus de vingt sociétés en Corse et sur le continent dans les secteurs du BTP, de la promotion immobilière et de l'hôtellerie, activités économiques d'avenir dans une région où la principale ressource est le tourisme. Ses entreprises prospèrent dans une île en faillite. C'est un homme d'argent avant d'être un homme de pouvoir contrairement au chef de clan traditionnel.

Aux élections territoriales, les nationalistes représentent un quart de l'électorat insulaire : avec plus de 16% des suffrages, Corsica Nazione qui devance partout la liste MPA ( 7,8% des voix) devient la deuxième force politique de l'île et revendique la responsabilité de former un gouvernement régional. Ce score, égal au double des suffrages de 1982 et au triple de 1986, témoigne d'une progression spectaculaire du vote nationaliste. Aux législatives, il se stabilise en Corse-du-Sud ( 23,5%) et connait une baisse en Haute-Corse ( 18,7%).

Plusieurs fiefs apparaissent au cours de ces différents scrutins :

- Les grandes agglomérations bastiaise et ajaccienne et leur micro-région voisine respective : au lendemain des élections territoriales, un quotidien régional titre " le drapeau corse flotte sur la ville" à propos du scrutin bastiais où Corsica Nazione arrive en tête avec 16,6% des voix devant le MRG qui n'obtient que 12,8% des suffrages dans le bastion radical d'Emile Zuccarelli, absent de cette élection. A Ajaccio, les deux listes nationalistes additionnées sont en tête; les quartiers défavorisés des cantons est d'Ajaccio ou sud de Bastia comportent un électorat jeune touché par le chômage et sensible aux thèses nationalistes ( 29,2% dans le canton de Lupino ou 28,8% dans celui de Montesoro-Furiani; aux législatives, 33,5% dans le canton d'Ajaccio VI). De nombreuses communes du nord de la plaine orientale et de la Casinca voisines de Bastia et celles du Celavo-Mezzana à proximité d'Ajaccio ont voté majoritairement nationaliste.

- Les régions touristiques du littoral : Balagne, des cantons capcorsins et le Morianincu; à l'Ile- Rousse et Calvi, le courant nationaliste réalise un véritable "carton" aux territoriales avec plus de 30% des suffrages et se maintient aux législatives hors cantons des deux candidats de droite.

De nombreuses réserves doivent être formulées à propos de l'importance de ce vote :

1. Le courant nationaliste présent dans toute l'île est peu représenté dans les instances élues communales et absent des assemblées cantonales où le clanisme reprend ses droits dans tous les fiefs nationalistes; sur un même canton ou dans une même commune, l'écart en pourcentage de voix peut varier de 30% à 5% entre votes nationalistes territorial et cantonal (exemple : en Balagne ou dans le canton de Bastelica).

2. Avec 25% des voix dans un scrutin comportant 7 autres listes, la mouvance nationaliste ne peut détenir aucun poste décisionnel dans les instances territoriales. Les tentatives d'ouverture de CN ou du MPA échouent. Aucun candidat n'arrive en deuxième position au premier tour des législatives.

3. Le vote nationaliste est parfois un vote sanction, le nationalisme régional se substituant au nationalisme lepéniste. La part de mécontentement et celle de similitudes de pensée idéologique entre ces deux votes de type nationaliste (nationalisme d'exclusion par exemple) témoignent d'idéaux communs. En effet, contrairement au continent, le Front national est en déclin avec 3,6% des voix au second tour des élections territoriales. En Balagne, les pourcentages de suffrages sont inversés de 1987 à 1992 entre nationalisme français et nationalisme corse.

4. Le courant nationaliste est multipartite et profondément divisé, doté de projets de société parfois opposés et de choix européens contradictoires. Au second tour des législatives, des nationalistes ont voté soit pour le néoclanisme libéral et corsiste de P.Patriarche, soit pour le candidat de gauche E. Zuccarelli à Bastia.

5. Les nationalistes détiennent un pouvoir économique croissant et des rivalités se font jour : le MPA s'occupe désormais d'investir sur le littoral et ses militants se font plastiquer pour "spéculation immobilière" par les clandestins de la Cuncolta ; la prise de gestion d'un camp de vacances à Propriano les a récemment opposés.

Deux courants essentiellement implantés à l'intérieur de l'île sont exclus de ces nouveaux espaces de pouvoi r

. Le clan Giacobbi : aux territoriales, la liste MRG de Nicolas Alfonsi arrive seulement en quatrième position avec 10,3% des suffrages (15% des voix en 1986). Le vote MRG demeure un vote nordiste, de l'intérieur de l'île, et rural à 70% : ses suffrages sont situés majoritairement en Haute-Corse avec 14,5% des voix contre 5,2% en Corse-du-Sud; en milieu urbain, excepté Bastia, le MRG obtient peu de suffrages. E Zuccarelli ne s'est pas présenté et Bastia est peu représentée dans les instances régionales.

. La Cuncolta refuse le tout-tourisme et la spéculation immobilière. Le FLNC "canal historique" déclare "la zone du littoral inconstructible à quiconque" dans une lettre adressée en février 1991 à des maires, des entrepreneurs et des notaires de Balagne et met à exécution sa menace en décembre 1992 en y commettant prés d'une dizaine d'attentats. La revitalisation de l'intérieur de manière autocentrée n'est pas encore agréée à Ajaccio, Paris ou Bruxelles. Se pose pour eux désormais la nécessité de faire appel à des capitaux étrangers pour le développement de l'intérieur rural et de les contrôler, d'où la proposition d'un code des investissements.
 
 

Victoire de la droite claniste et néo-claniste sur fond de mobilisations conditionnelles et d' alliances à géométrie variable
 
 

Alors que l'on compte 13 listes au premier tour des territoriales, 12 candidatures dans le canton de Corte aux cantonales et 39 candidats aux législatives, paradoxalement toutes les formations politiques insulaires adoptent les mêmes choix de programme : statut fiscal, maîtrise des transports régionaux, environnement, langue et culture corses. Unanimes, elles décrètent urgents le développement économique de l'île et des mesures dérogatoires dans le nouvel espace européen dans lequel doit se repositionner la Corse.

La refonte complète des listes électorales a eu pour effet une baisse du taux d'abstention à tous les scrutins. Les votes territoriaux et cantonaux à enjeu local ont mobilisé la majeure partie des électeurs et toutes les organisations politiques, y compris les nationalistes. Mais si les territoriales ont mobilisé plus de 84% de l'électorat au second tour, la Corse figure en tête des régions françaises pour le taux d'abstention au référendum sur la ratification du traité de Maastricht avec moins de 66% de votants. La mise en place d'une étape importante de la construction européenne dans une région parmi les mieux dotées financièrement par Bruxelles n'a intéressé qu'une minorité d'électeurs et de responsables politiques déjà mobilisés sur un enjeu national pour les législatives de mars 1993. Le positionnement de toutes ces formations dépend en fait des espaces de pouvoir de chacune d'elles, de leur enjeux à échelle territoriale, nationale et européenne.

Les alliances "contre-nature" à géométrie variable se multiplient dans une île où les élus de Corse-du-Sud sont majoritaires. Aux territoriales, s'est formée une majorité régionale par union des clans traditionnels de droite et de gauche agissant en véritable cartel face à de nouvelles forces politiques montantes établissant leur aire de pouvoir en ordre dispersé et à des échelons territoriaux trés variables. Déjà coalisés dans le "Front du refus" au statut Joxe, les chefs des clans traditionnels RPR et MRG auraient constitué le futur conseil exécutif rendu public par le journal La Corse trois semaines avant le scrutin. Seul un élu du néo-clan Natali n'était pas programmé. Ce ticket RPR-MRG, accord secret mais connu de tous, soulève avant le premier tour de véhémentes protestations de l'ensemble de la droite libérale néo-claniste; sa branche de Corse-du-Sud, conduite par José Rossi, fait liste commune au second tour des territoriales avec des socialistes dissidents : cette union droite-gauche des "modernes" implantés en Corse-du-Sud en vue d'obtenir, tous suffrages additionnés, 21% des voix et de former une "majorité de gestion" échoue avec seulement 15,8% des suffrages. Dans une logique de rééquilibrage géographique du pouvoir, le président du nouveau conseil exécutif et quatre de ses responsables sont originaires de Haute-Corse, l'Assemblée territoriale étant majoritairement composée d'élus de Corse-du-sud.

Le courant nationaliste n'échappe pas à la règle d'une coalition hétéroclite : des problèmes majeurs se posent au sein de Corsica Nazione :

- théoriquement, l'UPC est opposée à la violence et à l'action clandestine; son chef charismatique, Edmond Simeoni, n'a t-il pas fait courageusement son autocritique en 1987 à propos des évènements d'Aleria, reconnaissant sa responsabilité dans le développement de la violence en Corse? l'UPC s'érige en parti démocratique, mais s'allie avec la Cuncolta et l'ANC à antennes clandestines et terroristes;

- si, pour la Cuncolta, l'autonomie interne peut être perçue comme une étape nécessaire dans un processus d'autodétermination, pour l'UPC la notion même d'autodétermination est contraire au concept d'autonomie puisqu'elle implique la volonté d'indépendance;

- le FLNC canal historique clandestin détient le pouvoir politique au sein de la Cuncolta et mène une double stratégie, à l'intérieur et à l'extérieur de l'union. Quelle pression peut exercer cette organisation politico-militaire sur ces alliés?

- comment fédérer des mouvements aussi divers dans leur projet politique et leur choix de société pour la Corse? Leur campagne électorale au moment des territoriales n'a pas été plurielle. Aux Législatives, l'ANC présente ses propres candidats et est exclue en avril 1993;

- les écologistes nationalistes ont cautionné la plus grande pollution par bombages, affiches et inscriptions souillant le patrimoine naturel et historique de l'île, arbres ou rochers comme les murs des citadelles, lors des différentes campagnes électorales de Corsica Nazione.

La Corse est devenue une terre de désunion de la gauche accentuée par les effets du statut Joxe : désunion entre partis et partition à l'intérieur de chaque formation, excepté le MRG; dans les deux partis "français", les listes investies par les instances nationales sont originaires de Haute-Corse, les dissidentes de Corse-du-Sud. Et ces dernières sont majoritaires.

Au second tour, il n'y a pas accord entre les deux listes communistes : malgré cette rupture, les rénovateurs du PC de Corse-du-Sud obtiennent 8,6% des voix, dont 59% en Corse-du-Sud.

Le MRG est lui-même fractionné : sa branche claniste traditionnelle giacobbiste membre de la majorité régionale menant la campagne des territoriales à enjeu local, et sa branche moderniste zuccarelliste jouant une carte nationale et européenne.

Le Réferendum de Maastricht bouleverse trés provisoirement les alliances. Les chefs du clanisme traditionnel, du néo-clanisme et des partis "français" au niveau local s'alignent sur les courants des partis nationaux auxquels ils sont affiliés : ligne Pasqua-Seguin pour les responsables RPR ; ligne Giscard-Léotard pour José Rossi et Jean Baggioni à l'UDF. Le Front national et les deux fédérations communistes de Corse se conforment aux directives nationales. Alors que le Rassemblement républicain de Nicolas Alfonsi se prononce pour un "oui mais", la tendance E. Zuccarelli mène une campagne trés active avec les socialistes des deux fédérations avec la création d'un "Comité Corse pour le Oui" qui réunit des hommes politiques, des chefs d'entreprise, des universitaires et des écrivains.

La mouvance nationaliste est divisée : tandis que le MPA "européaniste" appele à voter pour le "oui" et l'ANC pour le "non", Corsica Nazione choisit de s'abstenir pour conserver une position unitaire entre l' UPC et la Cuncolta.

Aux Législatives, les partis se reconstituent idéologiquement : à gauche, la candidature du ministre E.Zuccarelli est parvenue à regrouper tous les courants MRG et socialistes dans la première circonscription de Bastia tandis que José Rossi obtenait l'appui de toute la droite claniste et néo-claniste dans la circonscription d'Ajaccio; l'ANC et le MPA ont leur propre candidat.

Pourtant, un nouveau phénomène apparaît dans la deuxième circonscription de Haute-Corse : à droite, clanisme traditionnel et néoclanisme s'affrontent dans des primaires; sur un enjeu de pouvoir national, une formation politique régionale dissidente et corsiste s'affirme tandis que décline celle parrainée par les partis nationaux ; Paul Patriarche candidat du néo-clan régional Natali démissioné du RPR, s'oppose à Pierre Pasquini, député sortant du clan traditionnel roccasserriste parrainé par l'UPF, et n'est battu que de 772 voix; les votes MRG se sont reportés sur le représentant du clan traditionnel roccasserriste au second tour tandis que le candidat du néo-clanisme régional bénéficiait des votes nationalistes. Inversement, mais avec moins de succés, dans la première circonscription d'Ajaccio, le candidat MRG s'est associé à un RPR roccasserriste non officiellement soutenu par le "Renard argenté" contre José Rossi et les nationalistes.
 
 
 
 

Victoire électorale massive des droites claniste et néoclaniste en pleine restructuration
 
 

Au second tour des élections territoriales, les partis de droite recueillent plus de 56% des voix et 29 élus sur 51 sièges à pourvoir. Ils connaissent une progression notable depuis la mise en place du statut particulier (45% en 1982). Cette hausse apparaît également aux élections cantonales ou la droite détient 31 sièges sur les 51 que comportent les deux départements. Aux législatives, les trois députés de l'opposition nationale sont réélus. Mais aux territoriales de 1992, àprés l'adoption du statut Joxe, comme aux régionales de 1982 avec la mise en place du statut particulier, la droite insulaire est divisée : les tenants de la droite traditionnelle, regroupés autour du clan multipartite et la candidature de J.P de Rocca-Serra, ont obtenu au premier tour de scrutin des territoriales, 18,8% des voix et sont contestés par une droite néo-claniste se proclamant moderne, favorable au statut Joxe qui, toutes listes confondues, est majoritaire avec 27% des suffrages. Son chef potentiel, José Rossi, implanté exclusivement en Corse-du-Sud, n'est pas parvenu à allier ces courants. Les candidats de la droite néo-claniste se sont positionnés au second tour suivant leurs propres interêts microrégionaux ou départementaux. De Rocca Serra, avec 16 élus, doit constituer une majorité relative pour éviter la situation de 1982 où les divisions de la droite majoritaire avait entrainé la perte du pouvoir régional. Au "troisième tour" des territoriales, la droite néoclaniste se range à la logique traditionnelle claniste pour conserver ses acquis dans le cas de José Rossi ( présidence du conseil général de Corse-du-Sud et siège de député d'Ajaccio), pour renforcer son pouvoir et devenir le leader de la droite de Haute-Corse en ce qui concerne Paul Natali. Mais aux législatives, ses trois députés sortants sont tous impliqués dans des duels droite-droite au second tour. La rivalité Pasquini-Patriarche dans la circonscription de Corte-Calvi symbolise la mutation structurelle de la classe politique corse : néo-clanisme montant contre clan traditionnel faiblissant.

Le déclin de la gauche claniste radicale et l'absence d'élu du parti gouvernemental socialiste marquent l'effondrement de la gauche insulaire : le clan MRG est le grand perdant des élections territoriales et cantonales. Avant mars 1992, la gauche avait 24 sièges sur 61: 10 MRG, 2 divers gauche, 6 PS et 6 PC. Aujourd'hui, elle ne comprend plus que 9 sièges sur 51 dont 5 MRG et 4 communistes rénovateurs ou apparentés; l'élection d' E.Zuccarelli aux législatives s'inscrit dans un duel classique gauche-droite où s'affrontent le maire de Bastia et un élu de la périphérie dont les voix furent rurales et excentrées.
 
 

Changements institutionnels et redéfinition des espaces de pouvoir dans un processus de construction européenne

Les récentes mutations institutionnelles alignent la Corse sur le schéma européen : elles s'inspirent du modèle des autres îles méditerranéennes européennes et s'accompagnent du recul de l'Etat-nation allant de pair avec le renforcement des pouvoirs politiques locaux. Les institutions-relais du pouvoir central, la commune et le département, sont remises en cause, déstabilisant ainsi les assises des forces locales traditionnelles alors que les institutions européennes favorisent la dynamique de la microrégion et de la région, sièges des nouvelles forces politiques de l'île.
 
 

Microrégion, base locale de pouvoir remplaçant la commune

Les communes rurales connaissent une grande mutation avec le phénomène de la "commune éclatée". Il n'y a plus unité de gestion ni de projet municipal commun entre le bourg en montagne ou à flanc de coteau, en voie de dépeuplement ou de désertification, et le hameau sur le littoral ou en plaine, centre économique de la commune en pleine expansion démographique. Il s'ensuit des tensions avec le passage progressif du pouvoir communal du vieux village, peuplé de retraités et réinvesti saisonnièrement par la diaspora en vacances, à l'agglomération récente où vit une population active et jeune et où investissent les acteurs économiques. Cet antagonisme se retrouve au niveau microrégional entre les bourgs de montagne et ceux de la plaine voisine : aux cantonales, les villages de Moltifao et Castifao ont voté contre l'élu sortant de la plaine domicilié à Ponte-Leccia, hameau éclaté de Morosaglia en pleine expansion urbaine. Inversement, dans le canton de Bastelica, le maire du chef lieu montagnard a perdu son siège conquis par le maire d'une commune du bas canton représentant la communauté d'interêt des villages de la basse vallée du Prunelli.

Avec la multiplication des regroupements intercommunaux et la constitution de "communautés de communes", la microrégion est devenue l'espace privilégié des initiatives locales; les facteurs de leur encouragement par la région étaient de recréér ou renforcer les solidarités mer-montagne et littoral-intérieur, et de regrouper les interêts intercommunaux pour faire des économies d'échelle dans une région de 250 000 habitants où subsistent 360 communes. Correspondant souvent aux anciennes pieve, assises institutionnelles des chefs de clan durant le Moyen Age remplacées par les communautés villageoises depuis les temps modernes, les microrégions occupent des ensembles géographiques naturels cohérents. Certaines d'entre elles ont déposé des plans de développement comme l'Alta Rocca, première région rurale de Corse à créér un district, ou le Cap corse qui dispose d'une charte intercommunale de développement et d'aménagement associant 18 communes. Des responsables politiques de partis trés divers mais tous du littoral, avec parfois des contrats de pays côtier, ou de milieu périurbain, sont à l'origine de regroupements intercommunaux (Cap corse, grand Bastia, microrégion voisine de la Marana, Celavo Mezzana ou Deux Sevi).

Le numéro de l'Observatoire de l'INSEE du troisième trimestre 1992 présente pour la première fois un découpage de l'île en unités microrégionales selon une logique économique tenant compte de la carte des Sivom. Cet espace ainsi institutionnalisé au niveau de la statistique traduit les efforts des autorités pour encourager les regroupements communaux décidés dans la loi Joxe- Baylet du 6 février 1992. Une nouvelle structure se met en place pour la première fois en Corse, la "communauté de communes" dans le canton roccasserriste de Prunelli-di-Fiumorbo en décembre 1992. Ces communes, dont les maires sont unis dans la majorité régionale, sont localisées sur une ancienne piève et ont en commun une situation en partie littorale porteuse d'un développement touristique; les villes côtières ont des zones d'influence microrégionale qui facilitent l'institutionalisation de telles structures (en cours de création dans le Morianincu). Inversement, les communes de l'intérieur les refusent : hostilité de la majorité des maires toutes tendances confondues dans le Haut-Taravo, dénonçant la remise en cause du pouvoir municipal ; dans le Boziu, le maire de Castellare di Mercurio met en garde les maires de sa microrégion contre la formation d'une communauté de communes avec la ville de Corte risquant de transformer son village en hameau, et veut créér une "nouvelle ruralité". La Communauté européenne encourage la mise en place de pouvoirs microrégionaux en zone rurale avec le programme "Leader" en Balagne, en Castagniccia et dans le Rostino.

Ces espaces de pouvoir témoignant du morcellement de la classe politique insulaire aux territoriales et aux cantonales s'inscrivent dans une logique régionale et européenne.
 
 

Mise en place d'un espace insulaire régional

Certaines réalités géographiques sont incontournables : une région insulaire coupée en deux par le relief, naturellement région au niveau national et européen et difficilement région au niveau local avec sa chaîne de montagne qui la coupe en deux. Il y a contradiction entre la volonté de construire un espace autonome régional qui s'inscrit dans un processus de construction européenne et l'antagonisme de deux départements qui se tournent le dos par le relief et le vécu.

Toute l'histoire de la Corse est marquée par la division de l'île entre l'en-deçà des monts et l'au-delà des monts de part et d'autre d'une barrière montagneuse qui pèse toujours sur l'organisation économique et géopolitique du milieu insulaire. La rivalité Bastia-Ajaccio est plus que jamais d'actualité; Bastia se tourne vers la Toscane, la Ligurie et vers l'Europe tandis qu' Ajaccio, capitale administrative, regarde vers la France et la Sardaigne. Ces deux petites entités urbaines du littoral ne sont pas complémentaires, d'où une structure double des infrastructures de transport, administratives, scolaires et sanitaires. Le débat actuel sur la construction d'un axe autoroutier entre Bastia et Bonifacio qui passerait par Porto-Vecchio, encouragée par les instances européennes, inquiète toutes les formations politiques de l'au-delà des monts : elles déclarent prioritaire une communication autoroutière entre les deux grandes agglomérations insulaires, la capitale régionale de la Corse craignant d'être isolée de cet axe de développement du littoral oriental de l'île.

Dans les faits, la Corse reste coupée en deux dans la distribution des pouvoirs : la bipartition de toutes les formations politiques traduit ce phénomène. Il n'y a pas de discours commun à l'intérieur d' une même formation politique de part et d'autre du col de Vizzavona. Le nouveau bipartisme de la droite libérale néo-claniste et l'échec de la liste José Rossi marquent bien cette division de l'île.

José Rossi est le grand perdant des élections territoriales. Sa liste, avec 15,8% des suffrages, n'est arrivée qu'en troisième position, aprés celle des nationalistes. Sa plus grande faiblesse repose sur le déséquilibre entre le nombre des suffrages obtenus dans les deux départements : majoritaire en Corse-du-Sud avec 25,3% des voix, elle n'obtient que 8% des voix en Haute- Corse; ce vote géographique témoigne du pouvoir départemental qu'il exerce en tant que président du conseil général. Mais en Haute-Corse, son score est trés faible; aucune ville n'a voté pour lui majoritairement, excepté Calvi grâce à son alliance du second tour avec Henri Antona. Il doit alors abandonner toute ambition de pouvoir à l'échelle régionale et se replier provisoirement sur ses acquis que seul un accord avec la vieille droite roccasserriste peut maintenir: J Rossi démissionne de son siège de conseiller régional et, en mars 1993, est réélu député de la circonscription d'Ajaccio avec le soutien du "Renard argenté" et des bonapartistes.

Pourtant, dans tous les discours des formations politiques locales et nationales, l'espace territorial est privilégié aux dépens des départements avec une recherche de spécificité et non plus de parité avec le continent : de Paris, avec le statut Joxe et le retour à la circonscription électorale unique de 1982 ; d'Ajaccio, par les clans qui revendiquent un statut fiscal dérogatoire ou par les nationalistes réclamant un code des investissements. Le développement de l'île n'est plus programmé dans un cadre français et ne s'articule plus sur des relations bilatérales entre la Corse et la région PACA peu mentionnée dans la nouvelle recherche d'accords interrégionaux : il est envisagé dans un environnement méditerranéen et européen encourageant les relations transfrontalières avec l'Italie. Les media jouent un rôle important dans cette perception régionale insulaire de l'espace avec la création d'une télévision, de radios et d'une presse locales (une vingtaine de radios et plus d'une dizaine de journaux et magazines majoritairement nationalistes).

Le clan de Rocca Serra est la seule formation politique se calquant électoralement sur cette entité territoriale de l'île : la liste URPC obtient au second tour 16 sièges avec prés d'un quart des voix, 24,7% en Corse-du-Sud et 23,6% en Haute-Corse où elle est majoritaire : la microrégion du Travu, la microrégion cortenaise et certaines banlieues de Bastia ont voté massivement pour sa liste. Cette hausse des suffrages se confirme aux cantonales ; si il perd un siège en Balagne, il en gagne quatre en Haute-Corse. Beaucoup d'électeurs ont voté "utile" au second tour des territoriales, dont ceux du Front National, qui entretient d'excellentes relations avec le RPR de J.P de Rocca Serra, et ceux de la droite déçue par l'alliance au second tour de J.Rossi avec des socialistes.
 
 

Corse européenne

Aucun homme politique corse ne s'est investi dans le référendum de Maastricht, excepté le ministre et maire de Bastia. Comme tous les scrutins portant sur un espace électoral autre que local, la passion politique était absente et le vote au référendum a correspondu à des choix de politique intérieure. Le pouvoir de Bruxelles a localement peu de relais : deux députés européens marginalisés sur la scène politique régionale, François Musso, RPR ligne Chirac, et le nationaliste Max Simeoni siégeant sur les bancs des Verts, peu représentatifs sur place, et qui a cédé à son frère le rôle de leader du courant nationaliste. Les élus corses ont découvert tardivement la force du lobbying auprés des instances de décision européenne et viennent de voter à l'Assemblée territoriale une représentation insulaire à Bruxelles.

Les responsables politiques locaux ne réagissent pas en tant que Corses intégrés dans un espace européen. Pour eux "Paris" est une étape obligatoire et reste l'interlocuteur unique et le seul responsable des destinées insulaires : il doit jouer le rôle de médiateur dans toute relation politique à l'extérieur de l'île alors que l'Europe fonde toute sa politique actuelle d'intervention dans les régions selon les programmes d'action qu'elles proposent et dans des relations de plus en plus bilatérales. L'Europe est reconnue par contre comme bailleur de fonds par la quasi totalité des formations politiques insulaires, du clan traditionnel roccasserriste au courant nationaliste : Bruxelles doit prendre en compte à son tour le rattrapage historique et appliquer des mesures dérogatoires. Le principal reproche formulé par leurs responsables, excepté le MPA, est l'absence de mention de la spécificité de la Corse dans le traité de Maastricht, les îles de Madère et des Açores y étant mentionnées : la création d'un comité des régions n'a mobilisé que les courants socialiste et zuccarelliste. En conséquence, la Corse s'est opposée majoritairement à la ratification du traité de Maastricht : avec 56,7% de "non" et plus de 44% d'abstentions, elle se place dans le camp du "non", comme la région PACA et le midi de la France. Avec le taux d'abstention le plus élevé du pays, l'île semble marquer son désinterêt pour la construction européenne; le vote a suivi les directives des chefs de clans et partis : sur sept cantons à avoir voté "oui" pour Maastricht, aucun n'est urbain, cinq sont situés à l'intérieur des terres.
 
 

L'italianisation et la banalisation de la Corse sur le modèle des îles voisines
 
 

Aujourd'hui, la Corse se recentre dans l'espace méditerranéen : île riche de francité et d'italianité, elle se repositionne en Méditerranée occidentale avec l'internationalisation des acteurs politiques et économiques originaires de Bruxelles, de Milan, de Paris ou de Palerme (cf.l'ouvrage cité infra de Joseph Martinetti). L'en-deçà-des-monts et sa capitale Bastia sont traditionnellement tournés vers l'Italie ; les échanges, les relations portuaires et aériennes avec l'Italie s'intensifient. Le trafic avec la Ligurie et la Toscane passe par le port de Bastia, premier port français de passagers en Méditerranée devenu un port européen avec 1.559.000 passagers en I992, dont un trafic international en provenance des ports italiens deux fois superieur au trafic national. Les liaisons entre Bonifacio et Santa Térésa ont considérablement augmenté. La ligne Bastia-Marseille n' arrive qu'en troisième position aprés celles de Livourne et de Gênes tandis que la compagnie maritime italienne Corsica Ferries, sous pavillon de complaisance, reste la première compagnie à Bastia, devant la SNCM, avec une hausse de plus de 19% de son trafic passagers en 1992. Les difficultés actuelles d'ordre économique et politique que connait la péninsule semblent remettre en question la prospérité de ces relations privilégiées. D'autres facteurs plus structurels témoignent du repositionnement de l'île. Les relations transfrontalières se multiplient avec des jumelages entre villes sardes et corses et l'élaboration de projets touristiques associant les deux îles ( Work shop).

Cette italianisation de la Corse se traduit par un accroissement massif de la distribution de produits italiens dans les chaines commerciales et l'implantation croissante d'acteurs économiques péninsulaires : leurs secteurs préférentiels sont le commerce, les BTP, les transports et le tourisme avec la multiplication de sociétés anonymes à responsabilité limitée en Balagne, sur la plaine orientale et dans l'extrême Sud, Golfe de Porto-Vecchio et région de Bonifacio. Dans une première étape, c'est une implantation économique rapide d'un espace jusqu'ici intimement lié à l'hexagone sur les littoraux et dans les zones urbaines : investissements nombreux de sociétés dans des villages-vacances dont plusieurs d'entre eux ont été récemment plastiqués par le FLNC canal historique. Le cas de l'étang de Biguglia est à ce propos exemplaire : vendu aux enchères à un prix fixé à 8 215 000 francs dans la plus grande discrétion des média, des nationalistes et des écologistes, il aurait été acheté par un industriel italien promoteur immobilier pour la somme de 15 060 000 francs sans l'intervention du conseil général de Haute-Corse alors présidé par F.Giacobbi.
 
 

4. Hypothèses et scénarios
 
 

En mars 1993, les électeurs se prononcent sur un enjeu national : tous les acteurs politiques corses se positionnent selon leur choix relationnel entre la Corse et l'Etat, le développement touristique de l'île et le degré d''"intégration européenne"; le sentiment identitaire s'est désormais banalisé : le vote de l'Assemblée territoriale pour la corsisation des emplois dans la fonction publique et parabublique, qui aurait soulevé il y a quelques années des réactions véhémentes de l'ensemble de la classe politique insulaire, excepté les nationalistes, s'est passé dans l'indifférence générale.

Facteurs d'évolution

Plusieurs facteurs peuvent influencer aujourd'hui l'avenir de la Corse, de son économie, de ses habitants comme de ses acteurs politiques. L'analyse de leur évolution probable peut permettre d'envisager un scénario plausible à moyen ou long terme.
 
 

Inventaire et évolution de ces facteurs

Les plus importants sont : la présence de l'Etat, l'intégration européenne en cours, le développement touristique, la littoralisation et l'urbanisation, l'évolution démographique, l'italianisation de l'espace insulaire, le mouvement identitaire, la sécurité et la "dérive mafieuse". Il serait possible d'en dégager d'autres de moindre importance. En fait, les facteurs retenus ne sont pas tous indépendants ; ils peuvent se réduire à quatre, dont l'évolution a des conséquences directes sur les autres : le sentiment identitaire en voie de banalisation, d'essoufflement ou d'intégrisme passéiste, l'essor touristique international, l'intégration européenne avec une logique de restructuration régionale de l'espace et une redéfinition des Etats-nations, la présence de l'Etat liée au choix politique des représentants de l'Etat français. Par exemple, l'italianisation de l'île découle de l'essor touristique comme de l'intégration européenne qui permet aux ressortissants de la péninsule de trouver en Corse des partenaires et des débouchés économiques.

Deux facteurs sont inéluctables : la baisse du sentiment identitaire ou sa banalisation et l'essor touristique international. Le sentiment identitaire diminue en tant que pilier de la revendication auprés de l'Etat français; il est devenu commun à toutes les formations politiques qui ont inscrit dans leur programme la promotion de la langue et de la culture corse devenues des atouts touristiques. Les formations nationalistes indépendantistes qui réclament la coofficialité, excepté l'ANC, ne prennent même plus la peine d'éditer leur publication en corse ou en version bilingue. Le MPA a acquis, par des méthodes publiques ou clandestines, un certain pouvoir politique; conscient de la redistribution actuelle des pouvoirs et des enjeux de 1993, ce mouvement dissocie forces traditionnelles et forces de propositions modernistes auxquelles il veut s'associer dans une perspective de pouvoir régional. Il s'aligne ainsi sur les autres forces politiques libérales et néo-clanistes, réclamant comme elles, pour les entreprises corses, une baisse de la pression fiscale. Dans le cas du MPA, il y a donc extinction du sentiment identitaire comme moteur de l'action contre l'Etat, remplacé désormais par une défense classique de pouvoir. La Cuncolta, quant à elle, conserve un choix privilégiant le renouveau des activités économiques traditionnelles en milieu montagnard. Elle se prononce contre l'aménagement touristique non contrôlé du littoral. Son poids risque de devenir léger face aux appétits conjugués d'investisseurs régionaux, nationaux et internationaux peu susceptibles de se plier à sa volonté d'établir un code d'investissements pour la Corse : pour la Cuncolta, qui continue à prélever l"'impôt révolutionnaire", il y a risque de mise au pas par les autres acteurs politiques nationaux ou régionaux, y compris par leurs anciens alliés qui refusent d'être soumis à leur tour au racket et aux bombes.

L'essor touristique international : la Corse, "la plus proche des îles lointaines", a perdu de sa clientèle continentale en valeur relative, mais est devenue une destination privilégiée d'une clientèle européenne de touristes italiens et allemands. Ce territoire peu peuplé, riche en paysages naturels uniques en Méditerranée, est appelé à un développement touristique inéluctable. Tous les efforts des décideurs régionaux, nationaux et européens vont dans ce sens. Un essor démographique, déjà amorcé depuis les années soixante, est donc prévisible à court et moyen terme.

Deux facteurs doivent être maitrisés : la présence de l'Etat et l'intégration européenne. La présence de l'Etat et l'affirmation de son autorité dépendent de la volonté politique des représentants de l'Etat français. Le gouvernement est en mesure, sur le territoire national, de renforcer son autorité ou, tout au contraire, de se désengager et de se désolidariser. La Corse est, de l'avis de tous, président de la République, droite et gauche insulaires et aujourd'hui nationalistes, en pleine "dérive"; soit l'Etat reste un Etat-providence et garant des droits et des valeurs républicaines et s'inscrit dans une logique libérale de désengagement économique et fiscal qui garantit en même temps au citoyen la sécurité publique. Soit il se désengage du point de vue politique et économique, transférant ses compétences aux instances représentatives régionales ou internationales européennes, et n'assure plus son rôle de garant des lois républicaines. La dérive de l'île peut alors devenir mafieuse, dans l'indifférence du reste de la République. Lorsque la Lorraine est entrée en crise lors de la décision des autorités européennes de cessation de ses activités sidérurgiques, les autres régions françaises ne se sont pas solidarisées ni mobilisées pour combattre la mort économique d'une région entière. La décentralisation signifie-t-elle la fin de la "fraternité" républicaine entre régions ? Le rapport des forces politiques a changé dans l'île et sur le continent. Le gouvernement de cohabitation a regroupé dans un même ministère l'Intérieur et l'Aménagement du territoire sous la houlette de Charles Pasqua, déjà ministre de 1986 à 1988.

L'intégration de la Corse au sein d'un espace européen s'accélère avec le statut particulier de 1982, auquel succède le statut Joxe de 1991, la rendant autonome; cela signifie la remise en cause des liens bilatéraux entre Corse et continent français depuis deux siècles et un repositionnement de l'île dans son ensemble géographique italianisant. Le développement des échanges commerciaux, financiers et touristiques entre la péninsule italienne et la Corse s'accentue et prend une autre ampleur avec le grand marché européen. Mais la confédération corso-sarde, tant revendiquée par certains parlementaires européens insulaires, peut-elle voir le jour seulement par injonction politique entre deux ensembles spatiaux qui jusqu'ici s'ignoraient ?

Les évènements actuels en Europe orientale et balkanique, l'ouverture probable de ses Etats vers l'Europe de la CEE, le réveil des nationalités et la floraison des indépendances de nouveaux petits Etats peuvent devenir un facteur d'instabilité et hypothéquer tout projet paneuropéen. Quelle va être la politique de l'Europe des Douze, sollicitée à la fois à l'Est et au Sud ?

L'Allemagne peut continuer à jouer la carte européenne communautaire ou, au contraire, faire cavalier seul et se repositionner dans une grande Europe éclatée et économiquement faible, où s'exercera aisément sa domination économique et politique. Sa reconnaissance rapide de la Croatie et de la Slovénie s'est faite sans action commune avec ses partenaires européens avant meme la disparition de la Yougoslavie. La politique de l'Italie face aux évènements yougoslaves, à l'indépendance d'Etats balkaniques, où son influence peut se développer, peut également s'infléchir vers la défense d'intérêts recentrés. La volonté de rendorcer et d'assainir l'Etat italien face aux menaces que fait peser l'essor des ligues régionalistes ne va t-elle pas à contre-courant de la politique française en cours de décentralisation accélérée?

Quelle sera la réaction de la France dans ce cas, et ses conséquences sur la Corse?

L'Europe des régions peut être remise en question. Dans le cas contraire, va-t-elle poursuivre sa politique de division spatiale du travail en réservant à la Corse sa mono-activité de pôle touristique de qualité, à destination des cadres dynamiques européens ? D'autres choix sont -ils possibles ?
 
 

Conséquences : les acteurs politiques locaux face a quatre scénarios possibles
 
 

Leurs représentations s'affrontent et évoluent avec les tensions régnant dans l'île ; elles révèlent ainsi l'existence de deux courants majoritaires dans ce paysage politique éclaté : les défenseurs d'une Corse française et républicaine jouant les espaces de pouvoir communaux, départementaux et nationaux et les promoteurs d'une Corse autonome, voire indépendante, jouant la carte régionale et européenne

1. Autant ou plus d'Etat et d'intégration européenne

Le clan Giacobbi : si F. Giacobbi se proclame partisan de l'unité républicaine et refuse la notion de peuple corse, ses deux candidats aux législatives ont une stratégie divergente : pour Nicolas Alfonsi, candidat de la majorité régionale, les valeurs républicaines n'appartiennent "ni à la Droite, ni à la Gauche"; pour le ministre Emile Zuccarelli, ardent républicain opposé au statut Joxe, la défense des valeurs de la gauche demeure l'enjeu de ces élections.

La Fédération du Parti Communiste de Corse-du-Sud, rénovatrice, est favorable à une autonomie de l'île pouvant concilier unité nationale et diversité régionale, dans le cadre d'un Etat soucieux de service public et d'aménagement du territoire. Le projet Joxe est une avancée à condition que la solidarité nationale joue.

2. Le pouvoir de l'Etat-nation augmente et l'intégration européenne diminue

Les acteurs locaux favorables à cette hypothèse refusent le grand marché européen de 1993 et s'opposent au statut Joxe : "on ne peut aller vers le tout-tourisme avec des salariés disposant de droits, d'acquis sociaux". Cette représentation de l'espace insulaire est celle des communistes de Haute-Corse, nostalgiques de l'Europe gaullienne et de l'Europe des Etats-nations. C'est une évolution qui va à l'encontre de la dynamique actuelle. Dans le cadre des législatives, l'enjeu de pouvoir national passe avant les préoccupations régionales dans une lutte contre la droite.

Quant au Front national qui a appelé à voter "non" à Maastricht, il défend un Etat nationaliste au niveau de l'hexagone.

3. Baisse simultanée de l'Etat et de l'intégration européenne : indépendance de la Corse

Cette perspective est défendue par les mouvements nationalistes indépendantistes, la Cuncolta et l'ANC, qui condamnent le "colonialisme français" et "l'Europe des marchands".

4. Renforcement de l'intégration européenne et diminution du pouvoir de l'Etat

Plusieurs mouvements politiques s'inscrivent dans cette logique libérale et paneuropéenne :

- le Parti Socialiste, fervent partisan du traité de Maastricht, qui poursuit une volonté idéologique d'européanisation et de décentralisation, avec la création d'une collectivité territoriale sur le modèle italien des îles voisines;

- les courants nationalistes libéraux : l'UPC, courant autonomiste favorable à l'Europe des régions, mais avec des motivations écologiques et de contrôle par les insulaires de leur devenir. Le MPA nationaliste et libéral, partisan d'une économie de marché et d'un développement économique géré par les pouvoirs locaux insulaires, seul courant nationaliste ayant appelé à voter "oui" à Maastricht;

- la droite insulaire :

le clan Rocca Serra qui, bien qu'opposé politiquement au projet Joxe sur le plan national, est partisan sur le plan local d'une zone franche et d'une "région française à régime dérogatoire" : reconnaissance par l'Etat et Bruxelles des spécificités corses;

le néo-clan de José Rossi, rapporteur du projet d'autonomie interne, mise sur l'intégration européenne pour un développement touristique de l'île, de même que celui de Paul Natali, qui refuse le statu quo et veut adapter la Corse au grand marché européen, comptant sur la proximité de l'Italie, "atout indéniable".
 
 
 
 

Le scénario n°4 s'inscrit dans la dynamique actuelle
 
 

Le scénario n°4 s'inscrit dans la dynamique actuelle d'une Europe des Douze, aux pouvoirs régionaux étendus. Il implique un poids croissant de l'Europe libérale et une emprise économique en voie d'intensification de la haute finance italienne et internationale : la multiplication des relations transfrontalières avec la Toscane et la Sardaigne, l'absence d'une volonté de les renforcer avec les régions continentales françaises méditerranéennes, telle la région PACA, augurent d'un repositionnement de la Corse hors de l'espace français envisagé par Bruxelles. Associée à la Sardaigne dans les projets de la Communauté, la Corse devient aujourd'hui de plus en plus économiquement italienne, et cette tendance ne peut que s'accentuer dans les années qui viennent, ne serait-ce que par les implications de 1993.

Sur le plan politique local, avec le retrait de l'Etat français et la montée en puissance du pouvoir de Bruxelles, seuls les partis ou mouvements ayant une idéologie libérale et une base de pouvoir située sur le littoral pourront survivre. Ils tâcheront alors de se placer comme intermédiaires entre Bruxelles et les acteurs économiques insulaires, risquant ainsi de reproduire, avec ce nouveau partenaire, les phénomènes de type claniste habituels. Les clans non adaptés à ces mutations, tel le clan MRG de F. Giacobbi, dont la clientèle n'est pas littoralisée, sont appelés à disparaitre. Le mouvement identitaire, quant à lui, représenté successivement par les régionalistes, autonomistes, nationalistes ou indépendantistes, est appelé à s'éteindre en tant que tel, soit par fossilisation de ses idéaux ou simple mise au pas, soit par absorption de ses militants dans des partis de pouvoir.

En revanche, la violence de droit commun ne pourra disparaitre que si un minimum de règles de type républicain sont respectées. Au moment où la Corse inaugure en métropole le nouveau statut de collectivité territoriale voulu par l'Etat, les risques de dérive mafieuse n'ont jamais été si présents. Les solutions proposées dans le scénario n°4 ne peuvent à notre avis que favoriser le développement de ce phénomène.

Ainsi, la décentralisation et l'européanisation voulues par le pouvoir socialiste correspondent en fait à une mutation économique et politique majeure au niveau européen : le transfert des pouvoirs nationaux vers les centres de décision de Bruxelles, et l'éclatement des structures politiques nationales, républicaines dans le cas de la France. Cette mutation profonde fait passer brutalement la Corse de la France républicaine au grand marché Européen. La question corse et la dérive corse n'en sont peut-être que les conséquences inéluctables.
 
 

Bibliographie

Dottelonde Pierre, "Corse, la métamorphose", Albiana, 1987.

Martinetti Joseph, "Insularité et marginalité en Méditerranée occidentale, L'exemple corse", Le Signet, 1991.

MichalonThierry, colloque "La Corse de demain", Ajaccio 17-18 octobre 1991,"Vers une pédagogie républicaine : la Corse entre décentralisation et autonomie" .

Olivesi Claude, "Les institutions insulaires des Etats du sud de la Méditerranée", Cahier IDIM, 1985.

Rombaldi Michel, "Régulation territoriale et planification décentralisée. Le cas de la Corse", thèse de doctorat, décembre 1991.

Tafani Pierre, "Géopolitique de la Corse", Fayard-La Marge Edition, Paris, 1988.
 
 
 

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