La dimension européenne de la "question corse"

 

 

 

Le 7 janvier dernier, Nicolas Sarkozy, se rendait à Bruxelles pour y rencontrer Romano Prodi, le président de la Commission européenne, afin de s'entretenir de l'avenir économique de la Corse, notamment du maintien d'un certain nombre de dérogations. Si le Ministre de l'intérieur ne s'était pas déplacé avec une importante délégation d'élus corses, nul doute que cette visite aurait eu un attrait moindre pour les journalistes. Les médias, qui focalisèrent leur attention sur la présence de deux représentants indépendantistes, oublièrent alors de rappeler que la "question corse" avait pris au cours des années 1990 une véritable dimension européenne. En effet, afin de sortir le problème corse de son contexte franco-français, un certain nombre d'élus insulaires ont choisi de jouer la carte de Bruxelles. Ce pari visant à instituer une nouvelle donne entre la Corse, l'Etat français et l'Union européenne est toutefois risqué puisqu'il repose sur des arguments politiques bien plus qu'économiques. La politique de séduction exercée par les instances européennes explique la montée en puissance de la dimension européenne des affaires corses au cours des années 1990 Les Corses sont-ils devenus en moins de dix ans des Européens convaincus ? Lors du référendum de Maastricht, le 20 septembre 1992, le traité fut majoritairement rejeté en Corse, puisque 56,72% des électeurs de l'île votèrent contre et que le taux d'abstention fut le plus fort du pays. Tous les partis nationalistes, à l'exception du Muvimentu Per l'Autodeterminazione, se prononcèrent soit pour l'abstention (Union du Peuple Corse, A Cuncolta Nazionalista, I Verdi Corsi) soit pour le non (Accolta Nazionalista Corsa). Le refus du traité de la part de la majorité des nationalistes corses était alors lié à la crainte de voir se construire une Europe libérale et à l'absence de reconnaissance suffisante de l'insularité. A l'époque nombre d'analystes signalèrent que les élus corses, notamment les nationalistes négligeaient complètement la dimension européenne. Parmi les rares hommes politiques corses ayant pris position en faveur de la ratification du traité de Maastricht, on comptait alors José Rossi et Jean Baggioni. A cette époque, les autonomistes et les indépendantistes corses se faisaient une toute autre idée de l'Europe. Ainsi, dès 1981, et à l'initiative de l'Union du Peuple Corse des frères Simeoni, fut fondée à Bastia, l'Alliance Libre Européenne/Parti Démocratique des Peuples d'Europe (ALE/PDPE), regroupant une certain nombre de partis nationalistes d'Europe (d'Ecosse, du Pays de Galles, de Flandres, de Catalogne, du Pays basque et d'Andalousie), qui s'inscrivent dans le jeu démocratique. Une autre structure plus radicale intervient au niveau européen : la Confédération des nations sans Etat de l'Europe Occidentale, qui compte dans ses rangs le FLNC et sa vitrine légale A Cuncolta Nazionalista, l'IRA et le Sinn Fein, l'ETA et Herri Batasuna. Ces mouvements se retrouvent chaque année au mois d'août, aux Journées internationales de Corte, qui permettent à de nombreux mouvements indépendantistes de trouver une tribune. Le 14 juillet 1992, le FLNC précisait encore sa position en affirmant : "Nous suivons avec attention les évolutions évoquées par le traité de Maastricht, les thèses sur la subsidiarité et le début de reconnaissance des régions et des identités d'Europe. Nous tenons cependant à souligner les limites d'une telle entreprise : Maastricht demeure une union d'Etats-bunker, qui continuent à nier des nationalités et des peuples qui constituent son espace" . Pourtant, après des années de quasi-indifférence, l'Europe est devenue l'horizon des nationalistes corses. S'ils ont une très grande confiance dans la construction européenne, c'est bien qu'ils pensent que celle-ci accordera plus de pouvoirs à l'échelon régional, dans le cadre d'une Europe des régions et non des nations. Afin d'étayer ce propos, il convient de rappeler ce que déclarait en 1998, le leader autonomiste, Edmond Simeoni : " L'Europe est restée, pendant très longtemps une abstraction pour les Corses tant, jusqu'à la décennie 1980 environ, la construction européenne semblait ne concerner que les Etats [...] Depuis lors, la scène communautaire a toujours été pour nous un lieu privilégié des représentations des problèmes et des aspirations de notre île. Plus structurellement, les aides financières européennes ont été majeures et ont permis de commencer à combler des retards considérables d'infrastructures dont l'Etat s'était peu soucié jusqu'alors" . En effet, l'UE s'est imposée comme un partenaire financier important en Corse, via la politique de cohésion économique et sociale menée par le FEDER. Glossaire : DATAR : Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale FEDER : Fonds Européen de Développement Economique Régional FEOGA : Fonds Européen d'Orientation et de Garantie Agricole IMEDOC : Association des Iles de la Méditerranée Occidentale Interreg : Programme d'initiative communautaire en faveur des zones frontalières Objectif n°1 : Zonage définissant selon le FEDER les régions en retard de développement dont la PIB est inférieur à 75% de la moyenne européenne Phasing out : Mécanisme de sortie progressive de l'objectif n° 1 PECO : Pays de l'Europe Centrale et Orientale POSEI : Programmes d'Options Spécifiques à l'Eloignement et à l'Insularité Les crédits communautaires alloués à la Corse entre 1989 et 1993 ont représenté environ 170 millions d'euros, cette somme est passée par la suite à près de 250 millions d'euros sur la période 1994-1999. Dans le cadre du zonage en objectif n°1 du FEDER, au titre du retard structurel de développement, la Corse a donc disposé d'importants fonds structurels, alors qu'en 1994 son maintien dans l'objectif n°1 ne fut dû qu'à la pression du gouvernement français. En effet, en 1993, au moment de la renégociation du zonage des régions européennes, le PIB de la Corse atteignait 79% de la moyenne européenne et non moins de 75 %. En quelques années, l'Union européenne s'est imposée comme un partenaire en terme économique, s'investissant dans de multiples domaines : infrastructures de transport, tourisme, développement micro-régional, mise en valeur du secteur agricole, ou encore développement inter-régional via les programmes Interreg entre la Corse, la Sardaigne et la Toscane. Toutefois, l'aide économique apportée par l'Union européenne à la Corse, bien que conséquente, est infime comparée aux contributions nationales. En Corse, chaque année l'Etat français dépense environ 1,7 milliard d'euros pour une recette fiscale inférieure à 750 millions d'euros. De plus, le contrat plan Etat-Région pour la période 2000-2006 budgétise 473 millions d'euros, financés à 52% par l'Etat, soit le double par habitant de ce qu'il s'engage à verser au Limousin, région dont le PIB par habitant est semblable à celui de la Corse. Enfin, à travers les accords de Matignon, l'Etat s'engageait sur un Plan Exceptionnel d'Investissement de plus de 2 milliards d'euros dont 70% à sa charge, le reste étant du ressort de la Collectivité Territoriale de Corse (CTC). La "politique de séduction" lancée par l'Union tient plus aux discours énoncés qu'aux fonds distribués. C'est ainsi que l'on peut comprendre la Charte communautaire de la régionalisation européenne ou la Charte européenne des langues minoritaires. En effet, dans sa résolution du 9 février 1994, le Parlement européen demandait aux Etats membres de reconnaître les minorités linguistiques et de les doter d'un statut légal approprié et de ratifier cette charte adoptée le 22 juin 1992 par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe. Ces quelques signe forts, donnés par les instances européennes, ont accrédité l'idée que les Etats-nations seraient condamnés par une Europe forte. Ainsi, le leader indépendantiste Jean-Guy Talamoni écrivait en 2001 : "La construction européenne nous offre la possibilité de participer à une œuvre considérable, et de le faire en tant que Nation, en développant notre propre identité" . Les institutions dont disposent les élus corses pour figurer à la table européenne Pour nombre d'élus, qu'ils soient nationalistes ou non, la construction européenne est avant tout une opportunité d'émancipation politique bien plus qu'une chance économique : l'Europe est perçue depuis peu comme un arbitre extérieur apte à régler les relations entre l'Etat-nation français et la Collectivité Territoriale de Corse. Pour se faire, les élus corses ont occupé les institutions leur permettant de se faire entendre dans le concert européen. Dès 1992, José Rossi, alors député UDF et élu à la CTC, écrivait : "La Corse, plus que d'autres, a besoin de l'Europe. C'est pourquoi la nouvelle collectivité territoriale établira des relations directes avec la CEE. En effet, le projet corse sera défendu à Bruxelles d'abord par les Corses, car il ne faut pas oublier : que la situation actuelle pénalise l'île. Dans la relation Bruxelles-Ajaccio, l'écran parisien est générateur de retards dans l'information et d'infléchissement dans la décision au détriment fréquent des intérêts corses" . Dans cette logique, l'Assemblée territoriale de Corse entérina l'idée d'une représentation à Bruxelles au cours de l'année 1996. Par la suite, elle se dota d'un organe assurant les liaisons avec les instances européennes. Si la Commission des affaires européennes existe de longue date au sein de l'Assemblée Régionale Sarde, elle est nouvelle au sein de l'Assemblée de Corse. Créée en 1999, elle a pour premier président Jean-Guy Talamoni, leader des indépendantistes corses, qui obtient par ce poste une véritable reconnaissance internationale, notamment auprès de Romano Prodi ou du Commissaire européen à la politique régionale Michel Barnier, à qui il fit parvenir en 2001 une étude intitulée Une ambition européenne pour la Corse. Dès août 1999, le leader indépendantiste précisa le sens de son action au sein de cette toute nouvelle commission : "Nous devons impérativement sortir de ce face à face étouffant et stérile avec Paris et impliquer l'Europe dans la recherche des moyens susceptibles de conduire au règlement de la question corse [...] Evviva a Corsica, Nazione d'Auropa !" . D'autre part, depuis que siège, le Parlement européen, la Corse a toujours compté un ou deux députés européens, ce qui est largement disproportionné par rapport à la réalité démographique de l'île dans l'ensemble français. Le 17 novembre 1987, à l'initiative du député européen François Musso naquit un intergroupe intitulé "îles et régions périphériques" dont le but était de mettre en contact les membres du Parlement européen originaires des îles de l'Union européenne, considérant que l'UE méconnaissait les problèmes spécifiques rencontrés par les îles et demandaient des dérogations inspirées des Programmes d'Options Spécifiques à l'Eloignement et à l'Insularité (POSEI) pour les îles. Les intérêts corses peuvent également être défendus au sein du Comité des régions de l'Union européenne, fondé par le Traité de Maastricht. Cependant comme cette tribune officielle ne fait que publier des avis et non des décrets, son rôle ne peut être que complémentaire avec des actions menées au niveau européen. Celles-ci sont notamment le fait d'association de lobbying comme la Commission des Iles de la Conférence des Régions Périphériques ou Maritimes. L'action de cet organisme est plus spécialement ciblée sur les instances de l'Union européenne, à savoir les commissaires, les hauts-fonctionnaires et les députés européens. Lors de la réunion de la Commission des Iles du 7 Juin 2001, à Porto-Vecchio, sous l'égide de son président Jean Baggioni, pas moins de 26 régions insulaires européennes émanant de 12 pays étaient représentés. De plus, cette commission dispose d'un outil fort utile pour la défense des intérêts des îles par le biais de l'European Islands System of Lines and Exchanges (EURISLES). Ce réseau, dont le bureau est installé à Ajaccio, compile des statistiques de toutes les îles membres afin de fournir des données précises aux groupes de pressions en faveur des îles. L'action concertée de la Conférences des Iles et de son émanation EURISLES aboutit principalement à ce que ces travaux servent de cadre aux rapports sur l'insularité adoptés par le Parlement européen. Enfin, la Collectivité Territoriale de Corse est membre fondateur d'une association interrégionale qui a vocation à défendre ses intérêts sur la scène européenne. Depuis le 9 mai 1995, la Corse, la Sardaigne et les Baléares ont institué l'association des Iles de la Méditerranée Occidentale (IMEDOC), une structure commune et permanente. Six années après le lancement de cette association, les projets concrets comme celui d'une liaison aérienne entre les îles n'ont que peu avancé. En revanche d'un point de vue politique, IMEDOC est un groupe de pression influent, renforcé depuis avril 2000 par l'adhésion de la Sicile. Sur la scène européenne, la plus grande victoire remportée par la Corse et les autres régions insulaires d'Europe est à l'heure actuelle la modification de l'article 130 A du Traité de Maastricht relatif aux îles. Les élus insulaires ont utilisé tous les moyens de pression à disposition et les représentants corses n'ont pas été en reste. L'action de lobbying a porté tout à la fois sur les ministres et les députés nationaux, sur les députés européens et les commissaires. Pour ce faire, tous les moyens furent mis en œuvre, afin de faire connaître les arguments des îles, et on vit à l'œuvre d'une manière coordonnée la Commission des Iles de la CRPM, forte d'études siglées EURISLES, les représentations des régions à Bruxelles, l'association IMEDOC, ainsi que des initiatives personnelles émanant notamment des dirigeants de l'assemblée de Corse. Jouer l'Union européenne contre l'Etat français est un choix risqué pour la Corse Clairement, nombre de dirigeants corses font le choix de la carte européenne. Celle-ci peut toutefois, pour de multiples raisons, s'avérer dangereuse s'il s'agit de jouer l'Union européenne contre la France. Tout d'abord parce que les instances européennes sont plus "tatillonnes" que l'Etat français quant aux financements. Ainsi, en 1994, le rapport Jacquot mettait en évidence les abus liés en Corse à la prime à la vache. Cette subvention européenne versée par le FEOGA et peu adaptée à l'agriculture insulaire, était alors l'objet d'une fraude massive. Les instances européennes décidèrent de cesser de payer, mais l'Etat français prit la suite de l'Union, afin de garantir ces revenus, mêmes indus, aux agriculteurs corses. De plus, l'Union européenne est un cadre contraignant pour la Corse. Ainsi, au début de l'année 1995, le gouvernement français déposa auprès de la Commission européenne un "mémorandum pour un programme spécifique à l'éloignement et à l'insularité en faveur de la Corse". Ce POSEICOR, sur le modèle des POSEI bénéficiant aux régions ultrapériphériques, prévoyait des mesures fiscales particulières et des dérogations au droit communautaire. Le refus des instances communautaires intervint alors qu'elles venaient de dresser un inquiétant constat à propos de l'île en notant : "La Corse est la région de l'arc latin dont l'avenir est le plus incertain : vieillissement de la population, absence de création d'emplois qualifiés, inexistence des activités industrielles, importance des revenus de transfert, faible effet d'entraînement d'une fréquentation touristique massive et très saisonnière, enfin, phénomènes d'insécurité qui conduisent à des désinvestissements." . Certes, l'année suivante, la Commission accepta la dérogation demandée par le gouvernement français en faveur d'une zone franche pour la Corse, dont le résultat fut bien décevant au terme des cinq années d'exception fiscale. La sortie de la Corse de l'objectif n° 1 pour la période 2000-2006 s'est traduite par une réduction de l'enveloppe communautaire de plus d'un tiers. Pourtant la Corse bénéficie d'un programme de sortie de l'objectif n° 1 en "douceur" : grâce à ce "phasing out", elle dispose d'un crédit de 181 millions d'euros sur la période, sachant que la période de programmation suivante verra fondre de nouveau les crédits communautaires destinés à l'île. En effet, si en l'an 2000 les dépenses consacrées à l'élargissement de l'UE ne représentent que 3% du budget de l'Union en 2006, 16% du budget sera directement destiné aux PECO et logiquement les crédits se détourneront du Sud pour alimenter l'Est. Un autre danger guète la Corse, c'est la croyance en une logique des îles, permettant de s'émanciper de l'Etat-nation français et de peser au niveau européen. En juin 1998, à Rhodes, Jean Baggioni, le président de l'exécutif de l'assemblée de Corse et membre de la Commission des îles proposa en vain que le programme INTERREG III s'adresse à l'ensemble des îles de la Méditerranée. Cette proposition était fondée sur une division de l'espace européen en trois aires : la zone continentale, la zone ultrapériphérique et la zone insulaire. Le refus des instances européennes ne découragea pas pour autant les tenants d'une vaste logique des îles. Ainsi, en juin 2001, réunie à Porto Vecchio, la XXIe conférence de la Commission des îles adopta à l'unanimité une motion en faveur de l'intégration des régions insulaires grecques au sein du programme "Méditerranée Occidentale" (MEDOC) d'INTERREG IIIB. En 2002, dans Au large de l'Europe : la construction européenne et la problématique des îles, rapport publié à l'initiative de la Commission des îles de la CRPM, on pouvait lire une préface de Jean Baggioni, poussant un peu plus loin ce raisonnement :"Que les représentants de territoires aussi divers et éloignés que les îles de l'Union européenne ou des pays candidats à l'élargissement puissent juger utile de se rassembler, de comparer leur sort et de réfléchir à leur avenir, surprend toujours certains. La démarche collective des îles n'est pourtant ni plus ni moins illégitime que le processus de construction communautaire, qui l'a d'ailleurs fait naître" . Dans l'optique d'une logique des îles au sein de l'Union européenne, l'entrée de Malte ou de Chypre, viendrait renforcer les positions corses, sardes, siciliennes, baléares au sein d'IMEDOC. Toutefois qu'on en commun ces îles, qui cumulent souvent des handicaps structurels lourds et n'échangent rien entre elles ? Le mythe d'une vaste Europe des régions est également présent dans l'esprit de nombre d'élus corses. Et en la matière, la Catalogne exerce sur les hommes politiques des partis traditionnels et sur les nationalistes corses une fascination dangereuse. Le tropisme catalan est fort pour des élus jaloux d'un Jordi Pujol, le Président de la Généralitat de Catalogne, déclarant que la Catalogne fonctionne comme "une nation sans Etat" dans le cadre de l'Union européenne. Ainsi, du 13 au 15 février 2002, José Rossi, Président de l'Assemblée de Corse s'est rendu dans la capitale catalane à l'invitation de Jordi Pujol. Au programme de leurs discussions : des considérations économiques mais aussi politiques. Faut-il rappeler aux élus et aux entrepreneurs corses fascinés par la Catalogne, l'histoire particulière de cette région à travers les âges ? Faut-il préciser que cette communauté autonome représente pas moins de 15% de la population espagnole, 20% du PIB et surtout près de 26% des exportations du Royaume d'Espagne ? Faut-il leur remémorer que la Catalogne a depuis longtemps joué la carte européenne au sein des "Quatre moteurs pour l'Europe" avec la Lombardie, le Bade Wurtemberg et la Région Rhône-Alpes ? Faut-il leur dire que pour se rendre d'Ajaccio à Barcelone, il faut multiplier les escales, aucune liaison aérienne ou maritime n'existant... Enfin, un vieux fantasme anime les dirigeants corses depuis de nombreuses années. Il consiste à penser que la situation géographique de leurs îles sera un jour mise en valeur par l'ouverture de l'Union européenne au sud du bassin méditerranéen. Certes Ajaccio est proche de Tunis ou d'Alger, mais il est peu probable que la Corse prenne un jour un essor suffisant dans le commerce avec le Maghreb. D'autant que si les discussions entre les régions des deux rives de la Méditerranée ont pris de l'importance au cours des années 1990, elles ont été freinées par la perspective de l'ouverture à l'est de l'Europe et les soubresauts géopolitiques dans le Maghreb et le monde arabe. L'association IMEDOC veut pourtant croire à la fonction des îles de Corse, de Sardaigne, des Baléares de "passerelles naturelles entre les deux rives de la Méditerranée qui ont un rôle primordial à jouer au sein du partenariat euro-méditerranéen" . Par conséquent, l'association, à peine née, assista le 28 novembre 1995, lors de la conférence de Barcelone. La déclaration finale prévoyait en effet "la création d'un espace euro-méditerranéen à l'horizon 2010 entre les Pays-tiers méditerranéens et l'Union européenne". Ces prochaines années en s'ouvrant largement aux pays de l'Europe Centrale et Orientale, l'Union européenne va traverser une période de turbulence. Dès lors il faut espérer que les élus corses sauront faire les bons choix ; leur européanisme étant dicté par des considérations bien plus politiques que par de véritable atouts économiques. Or, a n'en pas douter, l'avenir de la Corse passe pour longtemps encore par l'Etat-nation français. Aussi, légitimement un certain nombre de modifications dans l'organisation des rapports entre la Corse et la France peuvent être espérées.

 

Emmanuel Bernabéu-Casanova

Février 2003