De líîle de Corse à líIle-de-France,
les élus díorigine corse à Paris et dans les Hauts-de-Seine
 
 


Emmanuel Bernabéu-Casanova


 
 




La surreprésentation des Corses dans les sphères de la haute administration ou de la politique est un phénomène tout a fait spécifique, qui bien que suscitant de nombreuses interrogations reste très imparfaitement connu. Ainsi, líopinion publique au regard du nombre díélus díorigine corse -les patronymes corses étant assez facilement identifiables- síinquiète parfois de líexistence díun " lobby corse ".

Le goût des Corses pour la chose publique est avéré et de ce fait beaucoup ont occupé depuis plus díun siècle de hautes fonctions politiques, administratives ou judiciaires au service de la République française. L'émigration qui est une constante dans l'histoire corse, a atteint de telles proportions qu'il y a aujourd'hui plus de Corses en dehors de l'île qu'en son sein, et de ce fait les hommes politiques issus de la diaspora sont plus nombreux que jamais.

Líaire díanalyse de líétude que je me propose de mener est volontairement circonscrite à Paris et aux Hauts-de-Seine, pour des raisons à la fois symboliques -Paris étant la capitale, le centre du pouvoir et les Hauts-de-Seine le département le plus riche de France- mais aussi pour des raisons quantitatives tant la densité díélus díorigine corse y est forte. Un constat préalable síimpose : il est surprenant qu'une si petite communauté démographique, par rapport à l'ensemble de la population française, ait fourni une telle élite, qui plus est loin du monde méditerranéen, car il existe également une élite politique corse importante en région PACA.
 
 

Líélite politique de la diaspora corse à Paris et dans les Hauts-de-Seine : mesure du phénomène et clés de compréhension

La concentration d'élus d'origine corse à Paris est-elle le fruit du hasard ? Cette explication est peu satisfaisante, tant il síagit comme nous allons le voir díune tradition solidement ancrée. Dès lors il parait possible après une étape descriptive de tenter une phase plus analytique en essayant de comprendre pourquoi autant de Corses de la diaspora ont réussi en politique à Paris et dans les Hauts de Seine.

La ville de Paris est-elle un village corse ?

Paris compte une pléiade d'élus d'origine corse, comme en témoigne la carte n° 1, mais surtout en 1999, les trois premiers édiles de la ville sont Corses ! Le rôle des élus d'origine corse est particulièrement mis en lumière depuis mai 1995 : le conseil de la ville de Paris ayant nommé un Corse à sa tête.

Fidèle de Jacques Chirac, dont il fut le premier adjoint de 1983 à 1995 à la Mairie de Paris, Jean Tibéri fut choisi par l'actuel Président de la République pour lui succéder, au détriment des prétentions de Jacques Toubon. M. Tibéri, éphémère secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'agriculture (déjà nommé par Jacques Chirac en 1976), a très tôt compris que son avenir politique passerait par Paris. Conseiller d'arrondissement depuis mars 1965, député de la deuxième circonscription depuis 1968, il prit la mairie du Vème arrondissement en 1983, où son père avait longtemps été adjoint au maire.

Bien que né à Paris, et ayant fait toute sa carrière dans la capitale, Jean Tibéri, revendique fièrement ses origines insulaires. D'ailleurs comment pourrait-il en être autrement, lui qui a épousé Xavière Casanova, originaire de Corté. Madame le Maire, bien que n'ayant aucun mandat, n'hésite pas à prendre part à la vie politique de la capitale... Son rôle était relativement méconnu, jusquíaux développements récents du fameux " rapport Xavière Tibéri ".

La présence corse à la Mairie de Paris se manifeste également au sein du cabinet du Maire, puisque Jean Tibéri s'est attaché les services d'un de ces compatriotes au poste de directeur de l'information et de la communication en la personne de Claude Comiti, frère du réalisateur Tony Comiti.

Cependant cíest avant tout au Conseil municipal de Paris que se situe le " trust corse ". Roger Romani, le président du groupe RPR au conseil de la ville, est un ami de longue date de Jean Tibéri, qu'il fréquente depuis l'âge de 18 ans. Il est également élu du Vème arrondissement. Questeur de la ville de Paris depuis 1977, il a été sénateur de Paris de 1977 à 1993. De 1993 à 1997, Roger Romani fut ministre du gouvernement Balladur en charge des relations avec le Sénat et des Rapatriés et sous le gouvernement Juppé, il fut ministre des relations avec le Parlement.

Jacques Dominati est pour sa part président du groupe UDF au conseil de la ville. Né à Ajaccio en 1927, Jacques Dominati est l'ancien maire du IIIème arrondissement (1983-1995), dont il fut le député, avant d'en devenir, en 1995, le sénateur.

Outre le " triumvirat " Tibéri, Dominati et Romani, le conseil municipal compte bon nombre d'adjoints au maire d'origine corse.

Didier Bariani, UDF, est adjoint au maire depuis 1989. Il est en charge des quartiers sensibles à la Ville de Paris. Il a été secrétaire d'état auprès du ministre des Affaires étrangères de 1986 à 1988. Il fut également député-maire du XXème arrondissement.

Jean-Charles de Vincenti, UDF, est également adjoint au maire. Cet élu du XVème arrondissement n'hésite pas à faire de son attachement à la Corse un argument politique : à l'occasion des élections régionales 1998, il fit campagne sur les ondes de Radio Pays, à l'occasion d'une émission corse... Il faut dire qu'en dissidence par rapport à la majorité Tibéri, sa liste " Paris autrement, Paris proprement " (sic) avait bien peu de moyen d'expression.

Le dernier arrivé est Yves Pozzo-di-Borgo qui a fait son entrée au conseil municipal de la ville de Paris en avril 1998... Au total, le conseil municipal de la ville de Paris compte 10% d'adjoints au maire originaires de Corse ! A cette liste on pourrait encore ajouter Claude Goasguen, Corse de par sa mère, qui se rend régulièrement dans l'île, mais qui se garde bien de se revendiquer comme Corse.

Une étude plus poussée confirmerait l'impression que les Corses jouent actuellement un rôle important dans la vie politique de la capitale. Ainsi, au sein du conseil de la ville de Paris, on pourrait encore citer Brigitte Mariani, et à l'échelle des conseils d'arrondissements les exemples seraient multiples : Jean Orsini dans le XIème, Jean-Antoine Marchetti dans le XVème, Guy Benedetti dans le XXème, Laurent Dominati, fils de Jacques Dominati, député du IIème arrondissement de Paris et son frère Philippe, élu au Conseil du VIIIème arrondissement, etc.

Les édiles corses à Paris sont une véritable tradition. L'accession du couple Tibéri à l'Hôtel de Ville, ne saurait nous faire oublier que les élus d'origine corse sont une constante de la vie politique parisienne.

Je rappellerai tout d'abord qu'un autre Corse eut des velléités concernant líHôtel de ville de Paris. En 1977, à l'occasion de la toute première élection d'un maire pour la capitale, Michel d'Ornano se présenta avec l'assentiment du Président de la République en exercice, Valéry Giscard d'Estaing. Le Comte d'Ornano, originaire de Sainte Marie Sichée, échoua face à Jacques Chirac. Par la suite, Michel d'Ornano, ancien ministre de la culture, puis de l'environnement, se contenta de sa mairie de Deauville, qu'il garda jusqu'à sa mort, sa femme prenant alors la relève.

Avant même que la loi n'autorise l'élection d'un maire pour Paris, Jacques Dominati occupa de 1973 à 1974, la présidence du Conseil de Paris, période dont il garderait une certaine nostalgie.

Notons également que Dominique Padovani, dit " Pado ", fut, en son temps, vice-président du Conseil de Paris. Ce journaliste, qui remporta le prix Albert Londres et qui fut co-directeur de líAurore, était originaire d'Oletta, à proximité de Bastia. Au cours de sa carrière politique, il fut également conseiller général de la Seine et sénateur de Paris. Bien d'autres Corses siégèrent à Paris, à des postes certes moins importants. Ainsi, Jean Mattéoli, actuel président du Conseil Economique et Social, fut, entre 1983 et 1987, adjoint au maire. Jean-Toussaint Romanetti, occupa également pendant longtemps cette même fonction. La Mairie de Paris employa également de nombreux Corses. François Musso, député européen de 1988 à 1994, domicilié dans le VIIème arrondissement de la capitale, fut par exemple entre 1994 et 1995 chargé de mission à la Ville de Paris. Ce proche de Jacques Chirac eut il y a peu des démêlés avec la justice, pour avoir bénéficié de prêts de la caisse régionale du Crédit Agricole de Corse, dont il était président, alors que son " activité agricole était accessoire ".

Cependant, il serait faux de restreindre la présence de Corses à la seule Mairie de Paris... Bon nombre d'entre-eux furent élus par les Parisiens pour des mandats nationaux, de sénateurs ou députés, à l'instar de Jean Bernasconi, Jean-Baptiste Biaggi, Pierre Ferri, Dominique-Antoine Laurelli, Guy Vaschetti... Ces noms aujourd'hui retombés dans l'anonymat témoignent d'une implantation corse, de longue date, à tous les niveaux de la vie politique parisienne.

De plus de hauts fonctionnaires corses sont souvent en charge de la sécurité de Paris. La Corse n'a pas seulement fourni des élites politiques à la capitale, elle lui a également donné des élites administratives.

De nos jours, Philippe Massoni occupe le poste de préfet de Police de Paris, grâce notamment à l'appui de Charles Pasqua. M. Massoni entretient d'ailleurs d'excellentes relations avec Jean Tibéri, qu'il a connu du temps ou ce dernier était magistrat. Ajoutons que pendant un temps, Philippe Massoni s'attacha les services d'un compatriote très controversé : Jean-Charles Marchiani fut secrétaire général en charge de la zone défense à la préfecture de Police de Paris. Bastiais díorigine, Jean-Charles Marchiani débutta sa carrière au sein du contre-espionnage français avant de rejoindre à deux reprises (1986-1988 et 1993-1995) le cabinet du ministre de líIntérieur, Charles Pasqua. M. Marchiani fut par la suite préfet hors-cadre avant díêtre nommé préfet du Var.

Plusieurs fois dans l'histoire, la charge de veiller sur la capitale fut confiée à des Corses : ainsi, de 1973 à 1976, puis de 1986 à 1988, Jean Paolini fut le préfet de Police de Paris, cette fonction étant créée en 1964. Rappelons également qu'entre 1958 et 1963, Jean Benedetti fut nommé préfet de la Seine.

Cette tradition n'est pas propre à la Cinquième République : le 6 février 1934, un Corse resta dans l'histoire à l'occasion de la grande manifestation des ligues et associations d'anciens combattants : le préfet de Police de Paris était alors Jean Chiappe, né à Ajaccio.

Si l'on remonte plus loin encore dans l'histoire, M. Sebastiani était déjà commandant en chef de la place de Paris sous Louis-Philippe et Napoléon III, qui lui même avait des origines corses, nomma P.M. Pietri au poste de préfet de Paris !

Le fief corse des Hauts-de-Seine :

Les Hauts-de-Seine sont une terre d'élection de nombreux Corses. La carte n° 2 laisse apparaître plusieurs générations d'hommes politiques d'origine corse implantés à l'ouest de Paris... qui sont-ils ?

Pasqua, Santini, Ceccaldi sont aujourdíhui le trio corse du département. De tous, Charles Pasqua est incontestablement le plus influent car il siège au conseil général des Hauts-de-Seine depuis 1970 ! Cet ex-cacique du RPR est, depuis 1983, conseiller municipal de Neuilly. A la gestion d'une mairie, il préfère se consacrer au conseil général des Hauts-de-Seine et à son siège de sénateur, qui lui offre, depuis 1977, une aura nationale. Ancien ministre de l'Intérieur (1986-1988 et 1993-1995), il fut également ministre de l'Aménagement du territoire sous le gouvernement Balladur.

André Santini, secrétaire général de l'UDF, est, depuis 1980, le maire d'Issy-les-Moulineaux. Cet ancien ministre des rapatriés, puis de la communication de 1986 à 1988, est aujourd'hui vice-président de l'Assemblée Nationale. André Santini permet parfois à d'autres Corses de briguer des fonctions électives: à l'occasion des élections cantonales de 1998, Paul Subrini est ainsi devenu conseiller général du canton d'Issy-Est.

Charles Ceccaldi-Raynaud est l'inamovible maire de Puteaux. Cette ville de 43.000 habitants l'a élu sans discontinuité depuis 1969. Depuis 1995, il siège au Palais du Luxembourg, après avoir été longtemps député.

Ces trois hommes politiques ne font en fait que confirmer une tradition déjà bien ancrée : les Hauts-de-Seine sont depuis longtemps une terre d'élection pour les Corses. En effet, une véritable dynastie díélus corses dans les Hauts-de-Seine semble síêtre fondée. Avant même que les médias ne focalisent leur attention sur Charles Pasqua, d'autres Corses ont été les personnages les plus influents de l'Ouest parisien.

Au sortir de la Résistance, Achille Perretti, un des " grands " compagnons de la Libération devint maire de Neuilly-sur-Seine. Le parcours politique de cet homme, né en 1911, est étonnant, puisqu'il fut successivement préfet, directeur général adjoint de la Sûreté nationale, député de la Seine. Cet ancien vice-président du conseil général de la Corse fut également président de l'Assemblée Nationale, de 1969 à 1973. A sa mort, en 1983, bon nombre de Corses pleurèrent un compatriote ayant toujours su aider les siens. Charles Pasqua le regretta sans doute plus que les autres : Achille Peretti n'ayant pas eu le temps de préparer sa succession, la mairie de Neuilly-sur-Seine lui échappa au profit d'un " jeune loup " de 28 ans : Nicolas Sarkosy.

Ancien Consul général de France, Paul Graziani fut un temps conseiller municipal d'Ajaccio. Il ne mena cependant pas sa carrière politique dans l'île mais bien dans les Hauts-de-Seine, dont il fut longtemps député et vice-président du conseil général. Après avoir longtemps siégé au conseil municipal, il s'imposa comme maire de Boulogne-Billancourt, ville de 100.000 habitants. Il fit parallèlement son entrée au Palais du Luxembourg et ne quitta ses fonctions qu'au milieu des années quatre-vingt-dix.

Comment et pourquoi autant d'élus d'origine corse se sont-ils implantés à Paris et dans les Hauts-de-Seine ? Trois clés de compréhension :

· La logique numérique. - Issy-les-Moulineaux est le fief d'André Santini grâce en partie au rôle politique de la communauté corse qui réside sur la commune. Díailleurs en arrivant à proximité de l'Hôtel de Ville d'Issy-les-Moulineaux, un détail ne trompe pas : un restaurant corse fait face à la mairie. L'histoire politique de cette commune des Hauts-de-Seine, jouxtant Paris, est depuis près de soixante ans liée à l'importante communauté corse qui y réside. Selon André Santini, les Corses seraient environ 1.500 sur une population totale de 46.000 habitants.

La vie associative de la commune témoigne du rôle des Corses : Issy compte trois associations corses : " L'Amicale des Corses et Amis de la Corse ", " Les Amis du Sartenais " et enfin " A Casa di u Populu Corsu " où siège líAssociation des Etudiants Corses de Paris et líéquipe corporative de football " Unione Corsa ".

Cette minorité corse s'investit dans la vie de la commune bien plus que la communauté arménienne forte d'environ 5.000 individus, plus portée sur le commerce. C'est donc en toute logique que la Corse a fourni à la ville trois de ces maires : de 1939 à 1940, le docteur Jean Alessandri, de 1953 à 1973, Bonaventure Leca et enfin de 1980 à nos jours, André Santini, qui est un enfant de la commune : né dans le XIVème arrondissement, son père tenait un bistrot à Issy-les-Moulineaux.

Cette permanence des Corses à l'Hôtel de Ville (près de quarante années sur les soixante dernières), est encore plus manifeste au sein du conseil municipal, il y quelques années, pas moins de cinq adjoints au maire étaient originaires de Corse ! C'est en toute logique que Monsieur Santini explique ce phénomène : " Les Corses étaient les plus dynamiques : ils ont émergés ".

Malheureusement si ce modèle explicatif fonctionne pour partie sur la commune díIssy, les élus corses de Paris ne sont pas eux l'émanation d'une logique numérique. La question de l'implantation politique des Corses à Paris est bien plus complexe. Il est tout d'abord incontestable que pour la communauté corse, la capitale fut une zone d'implantation privilégiée. Cependant, il est bon de se demander ce que représentent les Corses vivant à Paris, à l'échelle d'une commune de 2 millions d'habitants ? Les estimations les plus folles font l'état d'une communauté originaire de Corse de 100.000 personnes... soit un parisien sur vingt ! Un tel chiffre ne repose bien évidemment sur rien de concret. Il est pourtant évoqué dans les colonnes du Parisien en mars 1996, et repris dans un dossier du Canard Enchaîné consacré à la Corse cette même année.

Il n'existe malheureusement pas de données scientifiquement établies concernant la population originaire de Corse à Paris. Certes, il est possible d'établir des estimations à l'occasion des recensements de population, puisqu'on demande toujours le département de naissance ou lors d'une inscription sur les listes électorales, puisqu'on questionne le citoyen sur l'endroit où il était précédemment inscrit... mais ces chiffres posent l'éternel problème des Corses non nés en Corse, ou ne résidant pas en Corse avant de venir s'établir à Paris. Une étude très générale menée sur les origines des parisiens au milieu des années soixante montrait que les Corses s'établissaient davantage à Paris qu'en banlieue, mais qu'ils ne représentaient à l'échelle de la capitale qu'une population marginale. Il y a à Paris beaucoup plus d'individus originaires de régions plus peuplées et plus proches telles que le Nord-Pas-de-Calais, la Bretagne, la Normandie que de Corse !

· La filiation communautaire. - La solidarité entre Corses a notamment facilité l'implantation politique de Charles Pasqua et de Charles Ceccaldi-Raynaud. En effet, rien ne prédestinait Charles Pasqua, né en 1927 à Grasse dans les Alpes Maritimes, à faire carrière dans les Hauts-de-Seine. Il est en quelque sorte le symbole de la solidarité entre Corses : le jeune VRP de la maison Ricard aurait-il réussi sans l'appui de ces " parrains " en politique ? Très tôt Charles Pasqua a été placé sous la protection de Charles d'Ornano, ancien député-maire díAjaccio et de deux piliers du gaullisme, tous deux anciens ministres : Alexandre Sanguinetti et René Tomasini.

Charles Pasqua fut vice-président du Service díAction Civique, officine " barbouzarde " créée par les milieux gaullistes afin de lutter par tous les moyens nécessaires contre líOrganisation Armée Secrète.

Elu pour la première fois député à Levallois-Perret, il profite de la vague gaulliste de 1968 pour enlever une circonscription longtemps communiste. A partir de ce moment, il profitera pleinement de l'appui de son compatriote Achille Peretti. Aidé par des Corses, c'est en toute logique que Charles Pasqua apportera son soutien à Charles Ceccaldi-Raynaud dans les Hauts-de-Seine. Ainsi, en 1993, le maire de Puteaux retrouva son siège de président de l'Etablissement Public de la Défense, dont le gouvernement Rocard l'avait privé, grâce à l'intervention du nouveau ministre de l'Intérieur.

Le parcours politique de ce Corse né à Bastia en 1925, ne le destinait pourtant pas au gaullisme. Après ses études de droit au Maroc, Charles Ceccaldi-Raynaud devint commissaire de police en Algérie, où on le soupçonna de sympathies pour le FLN ! De retour en France, il adhéra à la SFIO. Il fut alors en charge de la gestion des HLM de la ville de Bondy... Congédié par le maire de cette commune de Seine-Saint-Denis, il s'installa dans un autre fief socialiste : Puteaux, où le maire Georges Dardel l'accueillit. Charles Ceccaldi-Raynaud devint rapidement le patron de la fédération SFIO des Hauts-de-Seine, qui comptait alors, selon les témoignages, de très nombreux Corses. En 1967, Georges Dardel démissionna pour raison de santé de la mairie de Puteaux. Charles Ceccaldi-Raynaud, son quatrième adjoint pris sa succession, et quand l'ancien maire souhaita reprendre son mandat, il refusa de rentrer dans le rang. Aux municipales de 1971, Charles Ceccaldi-Raynaud, déchu de l'investiture SFIO, " retourna sa veste " et prit langue avec Achille Perreti, qui lui offrit la logistique gaulliste. au terme díune campagne électorale musclée, Charles Ceccaldi-Raynaud emporta le bastion socialiste de Puteaux et choisit définitivement son camp... il adhéra au RPR à la fin des années soixante-dix.

· Le goût pour la politique. - Díune manière générale et au delà de toute autre forme díexplication, il faut considérer prioritairement le fait que la politique et le pouvoir sont au coeur des représentations sociales corses. S'il est difficile d'expliquer l'implantation des élus d'origine Corses à Paris par l'importance numérique de la communauté insulaire ou díappui politique préexistant, il est en revanche possible de rappeler le rôle de la politique dans les représentations sociales corses.

Comme dans de nombreuses communautés méditerranéennes, la réussite sociale ne se mesure pas, en Corse, à l'aune de la réussite matérielle. Dès 1887, un journaliste, Paul Bourde, constatait à propos des Corses : "Lí ambition n'a qu'une forme chez eux, elle n'est point tournée vers la fortune, mais vers le pouvoir.[...] Posséder le sugillo, tel est líobjet des convoitises les plus ardentes des partis. On tient au conseiller général, on tient au député, mais on tient par dessus tout au sugillo, car cíest lui qui procure la plus grande somme des profits immédiats dans la politique. Le sugillo, cíest le sugillum, le sceau de la mairie, le signe de la puissance municipale qui légalisera les entreprises du clan et certifiera díune estampille officielle les pièces dont les solliciteurs de toute sorte ont besoin. Un maire doit mourir dans son écharpe ! Cet axiome corse veut dire quíune fois installé dans la mairie un parti serait bien sot díen sortir et que tous les moyens sont bons pour y rester ".

Dans la société insulaire le fait d'être élu confère une très forte respectabilité. Il faut rappeler le rôle prééminent des clans en Corse pour comprendre cette mentalité qui perdure. Le sociologue portugais José Gil, qui étudia longtemps les moeurs corses concluait que la politique englobait dans l'île le moindre aspect du corps social. Díailleurs pour le politologue Gérard Lenclud : " L'espace social corse est le produit permanent de tensions, de forces en opposition, de défis et de contre-défis, commandés par les valeurs d'honneur. Chaque unité sociale érige en idéal de nature politique l'état de souveraineté de soi sur soi et entretient, par conséquent, une relation d'affrontement avec toutes les autres. Il en résulte évidemment une politisation extrême du corps social, si l'on entend par là, fort classiquement, l'intérêt porté à la chose politique et la capacité à ordonner politiquement l'espace social. Ici chacun se trouve, dès l'enfance, plongé dans une vie publique où rien n'échappe au politique puisque la coexistence au quotidien s'ordonne autour d'une multitude de projets de pouvoir ".

La parfaite mesure de l'importance de la politique dans la Corse traditionnelle pouvait se prendre les jours d'élection, qui étaient de véritables jours de fête. Rituellement cette journée finissait par un tour du village triomphal du nouvel élu accompagné de ses partisans dans un concert de chansons électorales, composées à cet effet, et également de coups de feu tirés en líair...

Le goût pour la " chose publique " se manifeste par un intérêt certain des Corses de la diaspora pour la franc-maçonnerie. Au début des années quatre-vingt-dix, le Grand Maître du Grand Orient de France était Christian Pozzo di Borgo, qui avait succédé à Roger Ragade, Corse lui aussi. A la tête de la Grande Loge Nationale de France se succédèrent également deux Corses de la diaspora : Roger Santelli et Michel Barat. D'où vient ce goût des Corses pour la franc-maçonnerie ? A cette question, le magazine Kyrn formula ces hypothèses : " Recherche compensatoire d'une nouvelle solidarité hors de l'île ? Nécessité de se fondre dans un corps rendant plus facile l'intégration ? Besoin tribal d'une marque d'appartenance exorcisant confusément un anonymat difficile à vivre pour un insulaire ? ".

Manifestement, l'intérêt porté par les élus d'origine corse à la franc-maçonnerie est grand. Selon toute vraissemblance, Charles Pasqua est membre de la Grande Loge Nationale de France, tandis que son compatriote Michel Charasse est lié au Grand Orient de France. François Léotard, Michel Mouillot, Jacques Dominati, Bastien Leccia sont semble-t-il également maçons.

Notons encore que le 16 février 1989 se créa au sein du GOF la loge " Fraternité Paoli ". Le vénérable de cette loge, Philippe Guglielmi, souhaitait offrir un lieu de médiation entre classe politique corse traditionnelle et nationalistes, en s'inspirant du rôle des maçons dans la résolution de la crise calédonienne. Sous l'égide du héros corse Pasquale Paoli, lui aussi franc-maçon, cette loge réunit une cinquantaine de médecins, avocats, hommes politiques et hauts fonctionnaires d'origine corse. Síinsipirant du rôle de la franc-maçonnerie dans la résolution de la crise en Nouvelle-Calédonie, cette loge, qui a la particularité de pratiquer le bilinguisme, eut un rôle primordial lors de l'élaboration du projet Joxe en 1991. On prétend en effet que Pierre Joxe, lui aussi maçon, put s'appuyer sur certains Corses de la diaspora influents, ainsi que sur deux responsables politiques corses de premier plan, l'UDF José Rossi et le RPR Henri Antona, appartenant également à la loge Pasquale Paoli. Notons encore que ces dernières années de nombreux nationalistes ont apparemment intégré les loges maçonniques insulaires.
 
 

Existe-t-il une manière corse de faire de la politique ?

Les élus issus de la diaspora corse de la région parisienne ne font pas mystère de leurs origines, par ailleurs régulièrement relayées par les médias. Cependant que représente concrètement la Corse pour ces hommes politiques ? Dans quelle mesure peut on déceler dans leurs actes des comportements rappelant les moeurs politiques corses ?

La Corse, référant prégnant dans la construction identitaire de ces élus

Le lien qui unit tous les élus politiques d'origine corse à leur île passe en priorité par leur attachement à leur " paese ", carte n° 3, où pratiquement tous possèdent une maison de famille. Didier Bariani, par exemple, se rend à Carticasi, à l'occasion des principales festivités qui rythment la vie de son village : fête patronale, Pâques, Toussaint...

Dans la recherche des liens qui unissent ces hommes politiques à la Corse, il me parait important de distinguer ceux qui y sont nés et y ont vécu (Dominati Jacques, Romani, Massoni...) et ceux qui sont des " Corses de l'extérieur " de la seconde génération (Pasqua, Santini, Tibéri...). Le rapport à la langue est alors très différent : les premiers parlent volontiers le corse, ce qui leur permet de créer une " atmosphère ", un lien unique entre eux, les seconds se contentant de le comprendre. D'ailleurs, on dit que les apartés en langue corse entre Jacques Dominati et Roger Romani ont le don d'indisposer Jean Tibéri qui, contrairement à sa femme, maîtrise très mal la langue.

Le fait de ne pas avoir vécu en Corse semble parfois attrister nos élus. Ainsi, André Santini a déposé une proposition de loi pour le moins surprenante afin de permettre à un citoyen de choisir à líEtat Civil son lieu de naissance. Ce texte fantaisiste, qui ne serra jamais voté, aurait permis au député maire díIssy-les-Moulineaux díêtre né à Ota ou Evisa plutôt que dans le XIVème arrondissement de Paris.

Etre Corse est pour beaucoup un repère identitaire, une garantie de valeurs morales et sociales. Ainsi, André Santini qui n'a jamais vécu sur líîle reproduit à l'échelle de Paris un raisonnement typiquement corse : celui des liens familiaux élargis. Ainsi, se plaît-il à rappeler que par le jeu díalliances forts complexes Philippe Massoni et Charles Ceccaldi-Raynaud, sont à proprement parler ses cousins. Propos qui rappellent cette remarque faite en 1887 par Paul Bourde : " Un Corse se vante avec orgueil du nombre de ses cousins, comme on se vante de la force de son bras ".

Si tous les élus d'origines corses que j'ai évoqué se disent liés d'une manière inaltérable à la Corse, en revanche l'idée de se retirer un jour dans líîle pour la retraite (" U Rigiru ") leur déplaît, redoutant notamment la pauvreté des manifestations culturelles. Sans doute aussi parce qu'ils sont au fond à présent plus Parisiens que Corses, et que l'éloignement a eu pour résultat d'autonomiser dans leur personnalité le référant (l'identité corse) au référé (la Corse elle-même). Ceci confirme le portrait que Wanda Dressler-Holohan a brossé des individus coupés de leur terre d'attache : " Les exilés fabriquent d'abord pour eux-mêmes leur propre synthèse pour s'adapter individuellement à leur nouvel environnement : il s'agit de reconstituer leur pays dans l'imaginaire, un pays qui se distancie peu à peu du pays réel puisque cette reconstruction se réalise sans contraintes majeures, dans la liberté de l'anonymat de l'exil, hors d'une confrontation critique quotidienne dans le contexte local ".

Líentraide entre compatriotes

Au delà de considérations d'ordre psychologique, est-il possible de déceler dans les actes de ces élus des caractéristiques spécifiques à une conception corse de la politique ?

Les élus d'origine corse reçoivent des sollicitations orales ou écrites de nombreux Corses. André Santini, considérant que " le député est le piston de ceux qui n'ont pas de piston ", se fait un devoir de toujours donner suite à tous les courriers, soignant plus particulièrement la forme lorsquíil síagit díune réponse pour un compatriote. Laurent Dominati démarché par l'Association des Etudiants Corses de Paris se fera bien évidemment un plaisir de participer à la manifestation à laquelle il est convié.

Au-delà des ces " prestations " que tout élu doit à ses concitoyens, les élus corses favorisent-ils d'une manière ostentatoire leurs compatriotes ? C'est en tout cas ce qu'Yves Contassot, élu Vert, adjoint au logement dans le IIIème arrondissement affirme ouvertement au Canard Enchaîné. Selon lui, être Corse à Paris permet d'obtenir un HLM. Il est bien évidemment difficile d'argumenter cette rumeur, tout comme celle qui prétend que la Ville de Paris emploie de nombreux Corses... En effet, comment se faire une idée objective sur ce sujet. Tout au plus peut-on considérer que si certaines facilités étaient faites aux Corses cela n'aurait rien d'étonnant. Rappelons seulement que la Ville de Paris emploie près de 2.000 Corréziens, mais que les patronymes originaires de Corrèze se repèrent moins facilement que les noms corses !

Seule certitude, la tradition díentraide envers les compatriotes síestompe : certes un élu díorigine corse retournera toujours à un des siens une lettre chaleureuse mais peu nombreux sont ceux qui se démèneront afin díaider un individu au seul motif quíil est Corse.

La tentation clanique

La tentation clanique de la politique síimpose comme une pratique courante, et plus encore qu'une hypothétique politique de favoritisme à l'égard de compatriotes, il faut reprocher aux élus d'origine corse une fâcheuse tendance à reproduire les principaux biais de la politique insulaire.

Au plus fort de la crise au sein du Conseil de Paris, le 4 mai 1998, Claude Goasguen, secrétaire général de l'UDF et ex-adjoint chargé des Affaires scolaires, rallié à Monsieur Toubon au sein du groupe PARIS, porta l'accusation la plus sévère contre Jean Tibéri : " Monsieur Tibéri entend pratiquer plus que jamais un pouvoir sans transparence et qui va à l'encontre d'une vision moderne du pouvoir. Il devrait se souvenir que le chef de la majorité municipale n'est pas un chef de clan ". On peut imaginer que monsieur Goasguen, de mère corse, sait de quoi il parle ! Effectivement, les tribulations au sein de la municipalité de Paris rappellent étrangement les moeurs politiques corses. Dans chaque village se sont longtemps affrontés le partitu et le contrapartitu, sans véritable opposition idéologique, l'étiquette politique masquant des préoccupations bien moins nobles.

De plus si l'on considère que la Corse est un pays de " dynastie républicaine ", où la transmission héréditaire du pouvoir est la règle élémentaire du clanisme, on peut alors apprécier l'action des hommes politiques d'origine corse en région parisienne sous un angle nouveau. D'ailleurs, pour Sophie Goignard et Marie-Thérèse Guichard : " Les liens de sang jouent en effet un rôle primordial dans la géographie de l'influence insulaire à Paris ". Il est effectivement possible de discerner quatre clans corses à Paris et dans les Hauts-de-Seine :

· Le clan Tibéri. - L'actuel maire de Paris doit notamment son implantation dans le Vème arrondissement à son père, Charles Tibéri qui fut longtemps adjoint au maire de cette circonscription. C'est donc en toute logique que Jean Tibéri a souhaité " mettre le pied à l'étrier " à son fils. Dominique Tibéri avant d'occuper un emploi à Air France, fut un temps chef de cabinet de Roger Romani, alors que celui-ci était ministre des Relations avec le parlement. Simple échange de bons procédés, puisqu'en son temps, le frère de Roger Romani fut le garde du corps attitré de Jean Tibéri !

Toute la famille Tibéri tire partie de la politique : on peut bien sûr évoquer Xavière Tibéri et son fameux rapport, mais les enfants ne sont pas en reste ! Hélène Tibéri fut longtemps logée dans un " HLM chic " de la Ville de Paris, son frère Dominique allant même jusqu'à faire refaire la peinture et poser du marbre aux frais de l'OPAC, avant de prendre possession de son HLM... Xavière Tibéri étant intervenue elle-même afin de justifier les travaux.

· Le clan Dominati. - Jacques Dominati, cacique de la vie politique parisienne s'est très tôt soucié de l'avenir de ses enfants. Aussi, implanté dans le IIIème arrondissement, Jacques Dominati à placé son fils Laurent au conseil municipal du IIème arrondissement dès 1989. C'est tout naturellement que devenant sénateur en 1993, il a cédé à son fils son siège de député.

Jacques Dominati n'a bien sûr pas négligé son autre fils Philippe, qu'il a fait entrer au conseil municipal du VIIIème arrondissement. Spécialiste des questions financières à l'UDF, il était en position éligible sur la liste menée par Edouard Balladur aux élections régionales de 1998. Non élu, Philippe Dominati doit pour l'instant se contenter de la présidence du SYTCOM, le syndicat intercommunal chargé des ordures ménagères à Paris, qui dispose d'un budget de 1,2 milliard de francs !

Le népotisme n'est certes pas une tradition exclusivement corse, mais le cas Dominati commence à peser à certains. Ainsi, un élu UDF se fendit de ce bon mot acerbe au journaliste du Canard Enchaîné : " Dominati, ce n'est pas un tribun, c'est une tribu ".

· Le clan Pasqua. - Appuyé par des Corses au début de sa carrière politique, Charles Pasqua a constitué autour de lui un véritable clan. Charles Pasqua a bien évidemment commencé par placer son fils. Pierre Pasqua, qui est officiellement agent immobilier à Grasse, gère également des sociétés liées à l'aide au développement en Afrique... financées par le Conseil général des Hauts-de-Seine.

En France ou en Afrique, les hommes de confiance de Pasqua sont tous Corses. Son chef de cabinet au ministère de l'Intérieur n'était autre que Bernard Tomasini, le fils de son ami gaulliste René Tomasini. On connaît également ses liens avec Philippe Massoni, qui fut un temps son directeur de cabinet et Jean-Charles Marchiani. En ce qui concerne les questions africaines, dont je reparlerai ultérieurement, Charles Pasqua s'appuie sur des réseaux corses très denses.

Charles Pasqua semble avoir placé un Corse à chaque poste stratégique, à l'image de Dominique Vescovali, un de ses intimes, ancien cadre chez Bull, qui gère les finances des associations créées par Pasqua au fil de sa carrière... Pasqua sait que son entourage corse lui est fidèle et se permet de lui confier des missions délicates. Ainsi, en 1986, dans l'affaire du " vraix-faux passeport " d'Yves Chalier, qui était au coeur du scandale du carrefour du développement, Charles Pasqua s'est appuyé sur une filière cent pour cent corse : Julien Fillipedu et Jean-Paul Rocca Serra établis au Brésil se firent un plaisir d'accueillir Yves Chalier, devenu indésirable en France.

· Le clan Ceccaldi-Raynaud. - Charles Ceccaldi-Raynaud, inébranlable député puis sénateur-maire de Puteaux a décidé de se dessaisir de son mandat de conseiller général... au profit de sa fille Joëlle Franchi-Ceccaldi-Raynaud. Sous l'étiquette RPR, elle a été réélue sans difficulté conseiller général de la ville de Puteaux et également conseiller régional Ile-de-France pour le département des Hauts-de-Seine.

Avec Charles Ceccaldi-Raynaud, aux liens familiaux s'ajoutent les liens d'amitiés. Certains s'étonnent de voir le maire de la petite commune de Coti-Chjavari, Henri Antona rafler nombre de marchés dans les Hauts-de-Seine. Il faut dire que le président de la Techni, filiale de la Générale des Eaux, spécialisée dans le nettoyage, le chauffage et le gardiennage de travaux, est très lié à Charles Ceccaldi-Raynaud. A l'époque où celui-ci était le patron de la fédération SFIO des Hauts-de-Seine, Henri Antona en était le trésorier ! C'est donc en toute logique que bon nombre de marchés publics reviennent de droit à ce compatriote... n'oublions pas que Charles Ceccaldi-Raynaud fut vice-président du conseil général des Hauts-de-Seine.

Une pratique de la démocratie, qui rappelle malheureusement les moeurs insulaires.

La fraude électorale n'est pas une pratique spécifiquement corse, elle fait pourtant plus qu'ailleurs partie intégrante de la vie politique insulaire. En toute logique, les médias ont tendance à accorder une attention toute particulière aux manipulations de listes électorales profitant aux élus d'origine corse !

Ainsi, il faut se rappeler que Laurent Dominati a été accusé, d'une part d'avoir procédé à des inscriptions frauduleuses, d'autre part de détenir un fichier indiquant les inclinations politiques d'un certain nombre d'électeurs (les noms étaient précédés d'un " F " pour favorable et d'un " D " pour défavorable). En 1996, les candidats écologistes et socialistes avaient découvert que près de 18% des électeurs inscrits dans le IIIème arrondissement ne résidaient pas à l'adresse indiquée. Faut-il rappeler que Jacques Dominati a été maire de cet arrondissement de 1983 à 1995.

Cette entorse à la pratique démocratique n'est pas un cas isolé. Lyne Cohen-Solal, candidate socialiste défaite par Jean Tibéri lors des élections législatives de mai-juin 1997, a mis en évidence une quantité non négligeable d'inscriptions frauduleuses sur les listes électorales du Vème arrondissement de la capitale. Entre 3.000 à 4.000 électeurs étaient illégalement inscrits, soit près de 10% du corps électoral de la circonscription ! La justice a certes reconnu que la fraude était manifeste, mais a considéré que Jean Tibéri avait gagné son siège avec suffisamment d'avance pour que l'on ne tienne pas compte de ces petites entorses à la démocratie. C'est pourtant un système proche du clientélisme qui a été mis en place dans le Vème arrondissement de la capitale : bon nombre d'employés de la Mairie y sont domiciliés, sans bien sûr y résider, les personnes âgées ou invalides sont accompagnées jusque dans les isoloirs...

Les médias nationaux ont immédiatement accusé les édiles du Vème arrondissement de reproduire un certain atavisme corse. Pour Le Canard Enchaîné : " Les administrés du clan Tibéri, même quand ils ont quitté le Vème arrondissement y votent encore. Un sacré tour de Corse ! ". Jean Tibéri et sa femme Xavière, tout comme l'ancien maire-adjoint Roger Romani peuvent certes difficilement se défendre de ne pas connaître les travers de la démocratie en Corse.

Notons d'ailleurs, que cet incident fut relaté en Corse par l'hebdomadaire autonomiste Arritti, qui ironisa sur l'exportation des techniques de fraude électorale corse par Jean Tibéri : " A Corsica porta ancu e so pratiche à l'infora. Di ghjugnu 97 in Parigi, anu scupertu pocu stuppiti i pinzuti ch'ellu ci era 3 à 4.000 scritti falsi in u Vesimu circundariu di u sgio mere Tiberi, è ch'elli ghjuvianu e vitture municipale per anda à circa l'elettori ch'un s'eranu ancu spiazzati !... ".

Líélite politique de la diaspora corse est majoritairement conservatrice

Les hommes politiques d'origine corse dans la vie politique française se situent à la droite de líaxe politique. A l'heure actuelle, les seuls hommes politiques de gauche issu de la diaspora corse et ayant une audience nationale sont l'économiste socialiste Dominique Taddéi, Henri Emmanuelli, et Michel Charasse.

Aucun Corse de la diaspora ne s'illustre au niveau national au sein des radicaux de gauche, alors que ce " micro-parti " est particulièrement bien implanté en Haute-Corse. Notons enfin quíen dépit de l'héritage des martyrs et héros communistes insulaires (Danielle Casanova, Gabriel Péri, Jean Nicoli, Arthur Giovonni, etc.) le Parti Communiste ne compte plus de Corse parmi ses principaux dirigeants.

L'extrême-droite n'a pas non plus de cadres issus de la diaspora corse. Seul Roger Holeindre, un ancien de l'OAS, peut revendiquer des origines insulaires, puisqu'il est né à Ajaccio. Cet argument a été mis en avant à l'occasion des élections territoriales pour l'Assemblée de Corse en 1998 et 1999 (líélection précédente ayant été annulée pour fraude), afin de justifier le " parachutage " du vice-président du FN. Le nombre de suffrages remporté étant inférieur à 5%, le parti d'extrême-droite n'a eu aucun élu à l'Assemblée de Corse, ce qui dissuadera sans doute Monsieur Holeindre, jusqu'alors élu de Sevran en Seine-Saint-Denis, de faire de nouveau valoir ses origines corses.

Les hommes politiques d'origine corse s'illustrent donc pratiquement tous au sein de la droite républicaine, ce qui pourrait sans doute être expliqué par le biais d'une étude de sociologie politique : la Corse est une terre de conservatisme politique.

Un simple aperçu sur l'organigramme de l'UDF confirme l'idée que les Corses sont très influents à droite. Líancien président de cette confédération, François Léotard, est d'origine corse et un grand nombre des pontes des différents partis qui composaient l'UDF le sont également, à l'image d'André Santini, secrétaire général de líex-Force Démocrate, de Jacques Dominati, de Didier Bariani... Rappelons également que lors de la création de l'UDF en 1978, l'un des principaux lieutenant de Valéry Giscard d'Estaing était Michel d'Ornano, issu de la rare noblesse corse.

Au RPR, la présence des Corses de la diaspora est tout aussi visible avec Charles Pasqua, Jean Tibéri, Roger Romani, Colette Codaccioni, Xavier Emmanuelli, Jean-Jacques de Perretti... Ce phénomène est en fait une constante des partis gaullistes. Ainsi, en septembre 1976, trois mois avant la création du Rassemblement pour la République, Jacques Chirac avait constitué une équipe réduite de quelques conseillers proches, on y comptait alors Marie-France Garaud, Pierre Juillet, Jacques Friedman, Jérôme Monod, et surtout quatre Corses : Charles Pasqua, Jean Tibéri, René Tomasini et Alexandre Sanguinetti. Ces deux derniers, véritables " barons du gaullisme ", furent tour à tour secrétaires général de líUnion des Démocrates pour la République, ancêtre du RPR.

L'attachement de nombreux Corses au gaullisme se manifesta notamment quelques années auparavant par leur participation massive au Service d'Action Civique (SAC). Qu'aurait été le service d'ordre gaulliste, fondé en 1959, sans le renfort de nombreux Corses qui composèrent son ossature ? Il est de notoriété publique que Charles Pasqua doit sa carrière politique à son action au sein du SAC en région Provence-Alpes-Côte d'Azur dans les années soixante. Il pouvait alors y côtoyer bien des compatriotes dont Charles Mattéi, un des piliers du SAC, ou encore Philippe Massoni, qui deviendra un de ces protégés... La présidence de pareille organisation n'échappa pas à un Corse : de 1960 à 1969, Paul Comiti dirigea cette organisation tant décriée. Est-ce un hasard si son fils, Claude Comiti, occupe la fonction de directeur de l'information et de la communication au sein du cabinet du Maire de Paris ? Il convient également de rappeler que le SAC eut des répercussions en Corse, puisqu'à la fin des années soixante-dix, l'Etat français entra, par le biais du groupuscule FRANCIA, dans la logique terroriste du FLNC... Nombre de membres de cette organisation étaient des Corses encartés au RPR et appartenant au SAC !


Quel rôle jouent les élus issus de la diaspora dans les " affaires de Corse " ?

Revendiquant ouvertement leurs origines, les élus d'origine corse reproduisent parfois les pires travers des moeurs politiques corses. Mais profitent-ils de leur influence pour prendre part à la vie politique de l'île ? Pour Marianne Lefèvre il níen fait aucun doute : " Le lobby corse est puissant au plus haut niveau de l'Etat, où il conduit de Paris la politique que le pouvoir central mène en Corse. [...] Le gouvernement Balladur ne comptait pas moins d'un tiers de ses membres d'origine insulaires ou apparentée ".

Nombreux sont les observateurs qui accusent les élus originaires de Corse de favoriser leurs compatriotes insulaires. Cette affirmation, largement répandue est-t-elle véridique ou relève-t-elle de représentations fantasmatiques ?

L'omniprésence de Charles Pasqua dans les dossiers corses

Charles Pasqua joue vis-à-vis de la Corse un rôle prédominant. Si son action du temps ou il était ministre de l'Intérieur est relativement connue, il convient également de mettre en lumière l'influence dont il dispose même lorsqu'il n'est plus au gouvernement. Lors de son premier passage Place Beauvau, entre 1986 et 1988, Charles Pasqua, entendait " terroriser les terroristes " et son action dans l'île ne paraissait pas alors souffrir de ses origines corses. En revanche, à l'occasion de sa deuxième prise de fonction au ministère de l'Intérieur, Charles Pasqua fit jouer pleinement ses amitiés dans l'île. Dans un article publié en 1993 dans La Corse, Charles Pasqua donna le ton de la politique qu'il entendait à présent mener ; il ne s'adressa pas aux Corses comme à des citoyens français, préférant utiliser le vocable " mes chers compatriotes ". Il répondit alors aux indépendantistes qui souhaitaient le rencontrer, chargeant alors un de ses proche, Jean-Baptiste Tomi, maire de la petite commune de Tasso, d'organiser une rencontre. Dans un premier temps seul le MPA répondit à l'appel, mais la Cuncolta ne tarda pas à rejoindre la table des discussions. Bien entendu, Charles Pasqua ne se vante pas aujourdíhui de ses tergiversations ; interrogé au " Club de la Presse " d'Europe 1, le 22 février 1998, quelques jours après l'assassinat du Préfet Erignac, líancien ministre de líIntérieur minimisa systématiquement son rôle dans le dossier Corse :  " Le but de la politique menée en 1993 était d'essayer de réinsérer dans le processus politique tous ceux qui pouvaient être récupérés, de façon à cerner les irréductibles... pour ce faire, j'ai utilisé les compétences que m'offrait mon statut de ministre de l'Aménagement du territoire. Je tiens à rappeler que la politique menée en Corse de 1993 à 1995 était celle du gouvernement d'Edouard Balladur définie dans les comités interministériels. J'ai été chargé de conduire cette politique avec un pouvoir de coordination sur les différents ministères... ".

Charles Pasqua lors de son passage aux " affaires " s'est certes entouré de quelques amis corses : Jean-Baptiste Tomi, André Tarallo et Daniel Léandri (un brigadier-chef de la police originaire de Sartène) mais il eut également líintelligence de s'entourer de " pinzuti ", de non-Corses. Dans le dispositif Pasqua, son ami le sénateur RPR de Paris, Maurice Ulrich, ou Pierre-Etienne Bisch, énarque élevé au rang de " Monsieur Corse ", eurent une influence primordiale... Maurice Ulrich s'est à tel point entiché du dossier corse, qu'il en vint à participer à l'Amicale des Parlementaires díorigine Corse. Le sénateur partage son temps entre Paris et Propriano, commune dont le maire est son ami, le très controversé Emile Mocchi.

" Les réseaux Pasqua " assurent la permanence même après le départ de Charles Pasqua du ministère de l'Intérieur. C'est ainsi que Daniel Léandri a été quasiment imposé à Jean-Louis Debré, quand celui-ci arriva place Beauvau... Au lendemain de la conférence de presse clandestine de Tralunca, le 12 janvier 1996, cet " homme de Pasqua " fut congédié sur ordre de l'Elysée. Pierre-Etienne Bisch trouva également grâce auprès du nouveau ministre de l'Intérieur, permettant ainsi aux " réseaux Pasqua " de fonctionner malgré le changement de gouvernement.

Il convient également de chercher les réseaux Pasqua en Afrique au sein de ce que líon appelle la " Corse Connection ". Les Corses y fonctionnent en " une véritable amicale tribale ", ainsi le " Monsieur Afrique " díElf Aquitaine, André Tarallo aime à síentourer de compatriotes : Pierre Graziani, de la fondation Elf, Louis Dominici, ancien ambassadeur de France au Gabon, Toussaint Luciani, ou encore Charles Henri Filippi, du Crédit Commercial de France. On compte également dans les réseaux Pasqua, les frères Feliciaggi, Robert et Charles, qui gèrent au Gabon et dans díautres pays díAfrique de très nombreux casinos, dont le personnel est très souvent originaire de Tasso ou Guitera, villages du haut Taravo.

Par le biais de ces amitiés, parfois occultes, Charles Pasqua exerce une influence permanente sur le dossier corse... Cependant il ne faut pas restreindre son action au seul niveau national. Charles Pasqua, qui dispose d'un vaste réseau d'amitiés, prend également part à la vie politique corse à un échelon local. C'est ainsi, qu'à l'occasion des élections législatives de 1997, il a prouvé son inimitié à Jean-Paul de Rocca Serra en soutenant officieusement Denis de Rocca Serra. Le " renard argenté " emporta cette dernière victoire avant de s'éteindre en avril 1998. Bien entendu, Charles Pasqua se défend toujours díinterférer dans la vie politique insulaire. Ainsi à l'occasion des élections territoriales à l'Assemblée de Corse de 1998, il niait vivement soutenir en sous-main une quelconque liste. Il est pourtant de notoriété publique qu'afin de gêner l'entente entre l'UDF José Rossi et le RPR Jean Baggioni, Charles Pasqua a invité ses amis politiques à présenter une liste dissidente, menée par Philippe Ceccaldi, le président de la Compagnie Corse Méditerranée (CCM). Cette candidature, qui fit 7,8% des voix, était destinée à prouver l'influence de Charles Pasqua et de ses réseaux, notamment à l'attention de José Rossi, qui ne cache pas sa lassitude devant l'action de ce Corse de la diaspora dans l'île.

Charles Pasqua perpétue une tradition politique française : la Corse doit être gérée par un Corse

Le rôle que joue Charles Pasqua dans les " affaires corses " s'inscrit clairement dans une logique ancestrale : afin d'asseoir líautorité de la République, les représentants de líEtat se sont appuyées sur les clans locaux. Ceux-ci ont servi de relais au pouvoir central dans l'île, en échange, les  "affaires corses " restèrent depuis Paris aux mains de l'élite corse, permettant à nombre d'entre eux de faire carrière dans les ministères. Ainsi, pour Pierre Tafani : " L'acceptation volontaire de la communauté française par les insulaires s'est, en même temps, accompagnée d'un étrange accord tacite, respecté jusqu'à ce jour par tous les partis et les régimes : les " affaires corses " (expression employée et consacrée, dès avant la Grande Guerre, par les députés et les sénateurs) avaient une telle spécificité qu'elles ne regardaient que les Corses, c'est-à-dire la classe politique locale patronnée de Paris par un " grand homme " corse -cela va de soi- et pratiquement toujours un ministre ou son concurrent ".

Cette politique de l'Etat français en Corse a commencée dès la Restauration. Ainsi, de 1830 à 1848, les frères Horace et Tiburce Sebastiani avaient la haute main sur les affaires corses, l'un étant maréchal et ministre des Affaires étrangères et le second général et commandant en chef de la place de Paris. Napoléon III, neveu du plus célèbre des Corses, plébiscité dans líîle, renforça la présence de Corses aux plus hauts postes de l'Etat. P.M. Pietri est ainsi nommé Préfet de Paris, permettant à nombre de ses compatriotes de faire carrière dans la police et à la préfecture ; J.P. Abbatucci devint garde des Sceaux et Casabianca ministre... la bourgeoisie insulaire, comblée de faveurs impériales, accédant à de multiples emplois, adhéra dès lors à la France.

La IIIème République perpétua la politique de ses prédécesseurs en Corse. De 1870 à 1890, les Républicains allèrent même jusqu'à tolérer que les maîtres de l'île soient les Gavini, pourtant très bonapartistes. A partir de 1890, Emmanuel Arène, un proche de Léon Gambetta, prit les commandes... Francis Pomponi rappelle comment, depuis Paris, il assit son autorité sur líîle : " Alors qu'il n'était que secrétaire du ministre de l'Intérieur en 1879, il (Emmanuel Arène) recevait plus de courrier que son supérieur et canalisait les requêtes d'emploi ou de recommandations de ses compatriotes, en préparant ainsi sa carrière politique ; mais il fut surtout aidé au départ par la mission dont l'avait investi Gambetta lui-même dans son programme de républicaniser les campagnes. Il appartenait à Emmanuel Arène de faire adhérer à la République ce bastion bonapartiste qu'était encore la Corse et pour cela il pouvait compter sur le plein appui de l'administration préfectorale. Les préfets de l'époque ne furent souvent que les pâles serviteurs du député, très influent à Paris, et ils mettaient à sa disposition le précieux instrument de l'appareil d'Etat pour l'aider à étendre sa clientèle électorale ".

Après la Grande Guerre, la Corse passe au mains successivement d'Adolphe Landry, puis de François Pietri, tous deux ministres... Après la Seconde guerre mondiale, Paul Giaccobbi, ministre de l'éducation nationale en 1945, et Jacques Gavini furent à leur tour les véritables maîtres de l'île, avec l'assentiment du pouvoir central. Cette politique de l'Etat français en Corse permit bien évidemment aux clans locaux de se renforcer puisque toujours selon l'historien Francis Pomponi : " Services et passe-droit, les deux étant souvent liés, entretiennent la relation de patronage. Le cas le plus fréquent est la traditionnelle démarche de l'élu " bien placé " pour obtenir un emploi à des protégés signalés par les relais locaux comme étant de fidèles électeurs qui " portent " les voix des membres de leur famille [...] Arène, Landry, Pietri parmi tant d'autres truffèrent de compatriotes les administrations des douanes, de la gendarmerie, des Eaux et Forêt, les services ministériels ou municipaux. Sous la troisième République, les candidats du gouvernement en place partaient en quête de leur mandat nantis de nominations signées en blanc à des emplois dans la fonction publique et ils les distribuaient au cours de leur campagne ".

Les ministres d'origine insulaire, le plus souvent en charge des colonies ou de la Marine, prirent ainsi pratiquement toujours le pas sur les administrateurs ou les préfets envoyés dans l'île. Une anecdote résume d'ailleurs ce fait. On dit qu'à la fin du siècle dernier, Emmanuel Arène s'était rendu dans un village de montagne accompagné du préfet de Corse. Ce dernier s'était alors étonné de voir le facteur jeter le courrier sur la place du village, au lieu de procéder à la distribution. " U Rè Manuelle ", " le Roi Emmanuel ", ainsi quíon le surnommait alors, lui expliqua que ce fonctionnaire était illettré. Le préfet exprima son indignation et se vit répondre : " Si cet homme avait su lire, je ne l'aurais pas nommé facteur... je l'aurais fait préfet ! ".

Il semble donc que l'Etat français ait toujours accepté qu'un Corse soit responsable des affaires corses, court-circuitant de fait l'autorité des préfets dans l'île. Il convient de remarquer que les élites politiques élues de l'île n'ont plus aujourd'hui la responsabilité de la Corse. Ainsi, Emile Zuccarelli, José Rossi ou Pierre Pasquini ont été ministres ces dernières années, sans pour autant être liés aux affaires corses. On a en effet assisté à un " passage de témoin " surprenant : les élus en charge du dossier corse sont issus de la diaspora et non plus directement de Corse. Déjà en 1975, à l'occasion du congrès de l'UPC-Corti II, qui précéda l'affaire d'Aléria, Edmond Simeoni demandait au Président de la République " d'appréhender la réalité et la nature du problème corse, réalité et nature qui lui sont masquées par trop de conseillers intéressés ". Cette requête était notamment adressée à l'encontre de Jean-Etienne Riolacci, un Pied-noir d'origine corse, qui fut selon Michel Pierucci, ancien maire de Corté : " A la Corse ce que Foccart fut à l'Afrique ". Plus près de nous, on évoque souvent le rôle joué par Michel Charasse, alors que les socialistes géraient les " affaires corses ".

Cependant ce propos doit être nuancé puisque si Charles Pasqua interfère ouvertement dans le dossier corse, les autres hommes politiques d'origine corse en région parisienne affirment tous leur impuissance concernant l'avenir de l'île.

La tragique démission de la majorité des élus díorigine corse

Qu'un Corse de la diaspora " lambda " soit désemparé face à la dérive de son île se comprend aisément, mais la position de nombre d'élus díorigine corse est surprenante. Leur attachement à la Corse semble viscéral mais leur action politique en faveur de l'île est inexistante. Pourtant, Messieurs Santini, Dominati, Bariani, Tibéri... ne se désintéressent pas de la politique insulaire : tous sont en contacts réguliers avec leurs amis, élus de Corse. Mais concrètement, que font ces parlementaires d'origine corse pour l'île ?

Leur démarche politique vis-à-vis de l'île s'est résumée, jusqu'à présent, à la participation à l'Amicale des Parlementaires et Membres du Conseil Economique et Social d'Origine Corse, qui réunit, à líinvitation de Charles de Cuttoli, sénateurs, députés et membre du Conseil Economique et Social (cf. infra une des dernières listes des membres de líAmicale, celle ci ayant depuis sombrée dans la léthargie). Cette association informelle, en sommeil depuis plus d'un an, n'a jamais débouchée sur aucune initiative... Les membres de cette amicale se rendaient à ces repas afin de se retrouver entre compatriotes, les copieux repas finissant parfois au son des guitares.

Il faut également remarquer que les deux dernières missions parlementaires chargées de faire le bilan économique et financier de l'île ne comptèrent aucun député d'origine corse. Par souci d'objectivité ceux-ci furent conviés à ne pas faire parti des missions... Personne d'ailleurs n'y trouva à redire; les élus de la région parisienne d'origine corse étaient sans doute trop contents de laisser l'imbroglio des " affaires corses " à d'autres. De ce fait, la démission des élus est totale. Or ils ne représentent pas seulement leur électeurs mais en principe la nation française, Corse comprise. Pour exemple, le rapport de la commission díenquête sur la Corse consécutif à líassassinat du Préfet Erignac comporte nombre díomissions quíun député díorigine corse níaurait pu tolérer.

Dans le cadre de leurs fonctions de parlementaires, ces élus n'ont jamais pris une initiative d'envergure en faveur de l'île. Pourtant les élus díorigine corse restent des interlocuteurs très sollicités par les élus corses de toutes tendances. Pour tout dire, la raison de cette inaction semble être véritablement tabou. Pour Laurent Dominati la censure est complète : " on " líaurait dissuadé d'agir pour la Corse dans le cadre de son mandat de député !. Ce " on " énigmatique n'est en fait que l'émanation de sa propre réflexion. En filigrane, il est aisé de comprendre son message : la Corse est un terrain miné pour un jeune homme politique ambitieux. Aussi, est-ce avec un très grand respect qu'il parle de son ami José Rossi, qui a choisi de mener sa carrière politique dans líîle. Pour Laurent Dominati, la Corse est certes la terre de ses ancêtres et le lieu de nombreuses vacances, mais l'île n'est en aucun cas une terre de mission !

André Santini, quant à lui, ne veut plus se rendre en Corse afin de ne pas cautionner un pays " où l'on tue les préfets mais pas les hommes politiques ". Derrière ses traits d'humour, le député-maire d'Issy-les-Moulineaux laisse transparaître son amertume. Cet aveu d'impuissance se caractérise par un sentiment commun, celui de ne pas avoir la légitimité de parler au nom des Corses. Pourtant André Santini aime " à penser " la Corse comme en témoigne sa participation au cercle Vincent Moro-Giafferi, en hommage à líancien ténor du barreau aujourdíhui disparu, où se retrouvent nombre de juristes de la diaspora corse.

Amicale des Parlementaires et membres du Conseil Economique

et Social díorigine corse au 9 décembre 1997

Membre du Gouvernement :

- Emile Zuccarelli : Ministre de la Fonction publique, de la réforme de líEtat et de la décentralisation

Sénateurs :

- Charles Ceccaldi-Raynaud : Sénateur des Hauts-de-Seine

- Michel Charasse : Sénateur du Puy-de-Dome

- Charles de Cuttoli : Sénateur représentant les Français établis hors de France

- Jacques Dominati : Sénateur de Paris

- Jean-Baptiste Motroni : Sénateur de Haute-Corse

- Philippe Marini : Sénateur de líOise

- Paul díOrnano : Sénateur représentant les Français établis hors de France

- Charles Pasqua : Sénateur des Hauts-de-Seine

- Louis-Ferdinand de Rocca Serra : Sénateur de Corse-du-Sud

- Jacques Rocca Serra : Sénateur des Bouches-du-Rhône

- Henri Torre : Sénateur de líArdèche

- Maurice Ulrich : Sénateur de Paris

Députés :

- Pierre Albertini : Député de Seine-Maritime

- Roland Blum : Député des Bouches-du-Rhône

- Laurent Dominati : Député de Paris

- Henri Emmanuelli : Député des Landes

- Roger Franzoni : Député de Haute-Corse

- Claude Goasguen : Député de Paris

- Jean-Antoine Leonetti : Député des Alpes-Maritimes

- François Léotard : Député du Var

- Thierry Mariani : Député du Vaucluse

- Jean François Mattei : Député des Bouches-du-Rhône

- Louise Moreau : Député des Alpes Maritimes

- Paul Patriarche : Député de Haute-Corse

- Jean-Paul de Rocca Serra : Député de Corse-du-Sud

- José Rossi : Député de Corse-du-Sud

- André Santini : Député des Hauts-de-Seine

- Jean Tibéri : Député de Paris

Membres du Conseil Economique et Social :

- Emile Arrighi de Casanova : Président de section honoraire

- Gilberte Beaux : Membre honoraire

- Jean-Claude Casanova

- Paul Marchelli : Membre honoraire

- Xavier Marchetti

- Jean Matteoli : Président du Conseil Economique et Social

- François Ferrigot

- Marie-Ange Piazza

- François Piazza-Alessandrini

- Pierre Seassari

Député Européen :

- Jean Baggioni

Préfet de Police de Paris :

- Philippe Massoni
 
 

Les raisons de cette inaction sont multiples. Je peux tout d'abord évoquer un aspect de la psychologie des Corses de la diaspora. Je souscris pleinement à la formule de Pierre Tafani, pour qui, le Corse sait à merveille " jouer de sa corsitude sur le continent et profiter des latitudes et des libertés offertes par sa francité de retour dans l'île ". Et effectivement, ces élus semblent tous jouer sur le registre de la double identité, affirmant ostensiblement leur corsitude depuis Paris, mais se rendant à l'évidence d'une profonde différence entre eux et les insulaires.

Au-delà de l'explication psychologique se cache parfois des raisons plus politiques. André Santini ne cache pas que sa prise de position publique sur la Corse se ferait au détriment de l'unité de son parti. En effet, l'UDF compte parmi ses dirigeants un grand nombre de Corses, à commencer par son ancien président François Léotard, ou encore José Rossi. Aussi, faut-il parfois se taire plutôt que de mettre son parti dans une situation délicate...
 
 

Conclusion :

La concentration d'élus d'origine corse à Paris et dans les Hauts-de-Seine, est aujourd'hui un sujet qui suscite une véritable curiosité, car le fait d'être Corse a été volontairement porté sur la scène politique. Il ne faut cependant pas surestimer la légendaire solidarité entre Corses. En effet, si la sympathie entre compatriotes est inévitable, les élus d'origine corses n'hésitent pas à laisser libre cours à leurs ambitions personnelles. Ainsi, la crise ouverte à la Mairie de Paris a vu s'affronter le maire, Jean Tibéri, qui a le soutien de son ami Roger Romani, opposé à messieurs Toubon et Goasguen... le clan Dominati manoeuvrant en coulisse afin de tirer parti de la redistribution des cartes dont l'issue reste incertaine. Rappelons que dès juillet 1997, Jacques Dominati en refusant de voter le budget de la Mairie, avec quelques dissidents UDF, avait été le premier à faire vaciller Jean Tibéri !

De nombreux élus ont joué de la " corsitude ", qui renvoyait alors à des valeurs de droiture, de franchise. Aujourd'hui, la Corse n'est pas en odeur de sainteté dans l'opinion publique. Aussi, le chargé de la communication du maire de Paris, Claude Comiti, mía-tíil confié : " Il faut à présent être discret sur ses origines corses ". Pendant longtemps, un discours très en vogue dans les milieux nationalistes fit de la Corse une " colonie non colonisée ". Pourtant quelle colonie au monde peut se vanter d'avoir fourni une telle élite politique à sa puissance coloniale ? Je rappellerai seulement que les hommes politiques d'origine corse à Paris sont parfois élus de circonscriptions électorales plus peuplées que la Corse ! Le problème de cette élite politique de la diaspora corse dans son lien à líîle est donc autrement plus complexe comme en témoigne le leader autonomiste Edmond Simeoni : " Les élites corses, les ministres, les hauts-fonctionnaires, les personnalités influentes parfaitement intégrées à l'appareil dirigeant de l'Etat français n'ont pratiquement jamais rien fait pour le bien-être et le devenir collectif de la Corse. Certes, ils intercédaient fréquemment en faveur de leurs compatriotes pour des emplois, subalternes le plus souvent, ou encore pour de multiples avantages et même des passe-droits [...] Comment concevoir, admettre, qu'un tel potentiel de pouvoirs, de compétences, d'entregents, n'ait jamais songé, sauf quelques remarquables exceptions, à se préoccuper de la Corse, sinon pour lui assurer la liberté, au moins pour lui faire accorder la démocratie, le progrès, la justice ? Ils n'avaient pas le droit d'abandonner totalement leur île. Quelle cécité, quelle démission et quelle faillite !". Toutefois cette remise en cause reste isolée, dans líensemble les nationalistes insulaires ont plutôt bénéficié des situations occupées par certains Corses au gouvernement.

Cependant si le rôle des hommes politiques d'origine corse est une clé dans la compréhension du problème corse. Il convient toutefois de ne pas le surestimer : à l'exception de Charles Pasqua, tous les autres élus s'abstiennent. La raison de cette inaction est finalement évidente : le Corse de la diaspora en général, et l'élu sans doute plus que les autres, présente comme Janus deux visages : il est Corse à Paris, mais Parisien en Corse. Aussi, ne faut-il pas se leurrer sur le lien qui unirait aujourd'hui encore les Corses de la diaspora aux clans insulaires. La thèse d'une solidarité pro-corse au plus hauts niveaux de décisions de l'Etat relève du fantasme. Avec le sociologue José Gil, il convient de dire : " Ceux qui détiennent le pouvoir ont totalement intériorisé la loi française, tandis que celui qui n'en est que l'agent mineur garde une distance qui peut facilement se manifester lorsqu'il se retrouve dans son île. Il y a une relation directe entre l'absence de pouvoir de la population et le nombre de Corses qui, pendant des générations, ont occupé des places dans l'appareil d'état ".

Quoiqu'il advienne il faut en finir avec l'intervention en sous-main de certains Corses de la diaspora dans les " affaires de Corse ". Ce phénomène qui est déjà en régression par rapport aux décennies précédantes doit cesser. Charles Pasqua est un des dernier à revendiquer ouvertement son action, il s'appuie assurément sur des réseaux puissants. Dans l'île, les hommes politiques, de droite comme de gauche, en sont las ; même les nationalistes ont à présent l'impression d'avoir été manipulés. Son action déplaît de plus en plus aux citoyens français, car dans l'opinion publique se développe l'idée " d'un complot corse ". Le ras-le-bol est aussi manifeste chez les élus d'origine corse, qui en privé ne cachent pas leur aversion pour les pratiques de l'ancien ministre de l'lntérieur.

Síil faut condamner líinfluence occulte de certains réseaux politique, níest-il pas possible de souhaiter de la part des élus issus de la diaspora corse des prises de positions et des actions en faveur de la démocratie et du respect des lois ? La récente intervention de François Léotard au côté de José Rossi afin díéviter la destruction par les militaires díune " paillote " construite sur le domaine maritime, laisse penser que cette aspiration relève de líutopie.